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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

Du reste, tout ce septième acte de saint Guillaume vous transporte dans un monde inconnu. Il ressemble tout entier au rêve d’un écolier qui se prépare à sa première communion, et qui voit toutes les nuits son ange gardien qui lui sourit ou qui pleure, selon qu’il a été sage ou méchant. Il y a un indicible charme dans la situation de cette ame qui attend l’heure de prendre sa volée vers le ciel. Quoique le drame soit fini depuis long-temps, et que toutes ces scènes ne soient qu’un dialogue entre Guillaume et ses chimères, quoiqu’on n’attende plus de dénouement, on s’intéresse jusqu’au dernier vers, et quand apparaît cet ange vêtu de blanc, mais dont les ailes sont noires ; quand il apprend à Guillaume que ses misères sont finies, qu’il est venu pour le conduire dans cette autre vie, où l’on entre par une porte qui n’a que six pieds, et qui se ferme avec une pierre de tombe, on reste un instant le cœur à la fois joyeux et attendri, pensif et comme anéanti dans la contemplation du comte de Poitou à genoux et mort, les lèvres pressées sur un crucifix.

§. iii.
Les Quatre fils d’Aymon. — Caractère de cette tragédie. — Jacques Riwal. — Une représentation des Quatre fils d’Aymon à Lannion.

Nous voilà arrivés à la seconde tragédie bretonne, les Quatre fils d’Aymon. Qui ne connaît l’histoire des quatre fils d’Aymon, le seul des romans chevaleresques qui soit resté national jusqu’à nos jours ? Qui n’a lu cette Iliade du peuple que le peuple a conservée par instinct républicain, parce qu’il y avait là trois chevaliers qui résistaient au roi, qui égorgeaient des seigneurs, et souffraient la misère et l’injustice, comme de simples manans ? La tragédie bretonne n’est autre chose qu’une paraphrase poétique du roman. Quelque clerc du comté de Goëlo, enrôlé soudard par force ou par amour, rapporta sans doute cette chronique en Bretagne, de ses expéditions d’outre Loire, et, devenu chantre de sa paroisse, ou scribe de quelque fiscal, il employa ses loisirs à en faire un drame. Il faut l’avouer, il fut merveilleusement habile à approprier ce sujet aux sympathies du peuple pour lequel il le traduisait. Mais pour cela il lui fallut ôter à l’œuvre sa couleur primitive. À l’époque où l’histoire des quatre fils d’Aymon fut écrite, elle résumait l’esprit féodal ; elle exaltait la résistance du noble envers le suzerain, et donnait un bel exemple de révolte contre le roi. Ce dut être la Marseillaise de l’homme lige, et sans doute que pen-