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railleuse, il se confesse coupable, avec une sorte de fatuité insouciante, détaillant le péché et y mêlant les railleries mondaines.

LE COMTE.

Eh bien ! pourquoi le nier plus long-temps ? je veux vous dire toute ma vie. J’ai commis tous les péchés que l’on peut commettre sur terre. Hélas ! il faut bien l’avouer, j’ai trouvé du plaisir dans ma conduite impure. Mes regards lascifs ont trompé l’innocence. Oui, j’ai aimé les tendres voix et les doux entretiens ; j’ai aimé les regards voluptueux et les brillans vêtemens. J’ai aimé à contempler les belles jeunes filles alors que, légères, elles se rendaient au marché, ou venaient en chantant le long des routes ombrées. Je suis allé les voir dans leurs travaux, ou agenouillées dans les églises ; et à leur seul aspect, il s’allumait un feu dans mon cœur. J’allais leur offrir tout mon amour, et ma voix était si persuasive, mon visage feignait si bien, que j’ai déjà eu plus de cent maîtresses. Je leur promettais le mariage, puis j’avais l’indignité de me moquer d’elles. Mais aussi, abbé, vous ne savez pas combien les femmes sont maintenant coquettes. Il suffit de leur montrer une lueur d’amour pour qu’elles viennent s’asseoir sur vos genoux. Elles ne songent qu’à plaire aux hommes. Depuis quelque temps, Satan leur a appris à se mettre du fard sur le visage pour le rendre rose ; toutes sont ou des danseuses, ou des joueuses, ou des langues à deux tranchans. — Et voilà pourtant, abbé, les êtres que j’ai aimés, les êtres, hélas ! que j’aimerai tant que la vie courra dans mes veines.

À cette longue et railleuse tirade, saint Bernard ne répond que deux vers :

« Comte de Poitou, revenez à Jésus-Christ qui vous a racheté ; comte de Poitou, dépouillez vos mauvaises hontes, ou vous êtes perdu. »

Guillaume résiste plus faiblement ; il commence à comprendre et à trembler. Enfin le saint, qui n’a plus d’espoir qu’en Dieu pour vaincre entièrement, tombe à genoux, invoque la grâce divine, et le comte, touché d’une inspiration d’en haut, se jette à ses pieds.

Là finit le cinquième acte et la première partie du drame, la partie profane.

Dans le sixième acte, nous trouvons le comte de Poitou sérieusement occupé à réparer ses fautes. Il rétablit le vrai pape, obtient sa bénédiction, et vient, par son ordre, trouver saint Bernard pour qu’il lui enseigne la voie du salut. Il arrive encore au monastère avec une suite nombreuse, mais bien différent de ce qu’il était lors de sa première visite. Il arrive à pied, les genoux sanglans à force d’avoir prié aux mille croix du chemin