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REVUE DES DEUX MONDES.

quoi résister à mes désirs ? — Oh ! je vous en supplie, dites-moi donc pourquoi votre cœur est mal à l’aise dans la vie, pourquoi vous n’êtes pas joyeuse. Ah ! dites s’il est au pouvoir d’un homme d’accomplir vos vœux, et je les accomplirai.

LA DUCHESSE.

Vous en avez le pouvoir, vous le savez comme moi, vous qui m’avez enlevée à ma famille et à mon époux, à mon époux qui était mon plus aimé, à mon époux qui le sera toujours.

LE COMTE, blessé.

Ne puis-je donc être aimé comme lui ?

LA DUCHESSE.

Vous le seriez, comte, si vous étiez un homme qui craignît Dieu.

LE COMTE, avec impatience.

Plus tard, plus tard… J’y penserai quand j’aurai le temps.

LA DUCHESSE.

Va donc, Guillaume, noie ton cœur dans les choses de ce monde ; soûle-toi de plaisirs et d’infâmes bonheurs : tu ne trouves personne qui ose te dire la vérité ; mais moi je te la dirai sans crainte. Si tu ne changes de vie, comte, malheur à toi ! La patience de Dieu s’usera, et si tu n’obtiens de lui ton pardon, quelque jour, dans ton chemin, tu te trouveras face à face avec le malheur.

LE COMTE, souriant amèrement.

Je connais déjà tous vos sermons, ma belle ; je suis un misérable, n’est-ce pas ?

LA DUCHESSE.

Un misérable… et le plus méchant qu’ait jamais vu la terre, car vous n’avez pas eu horreur d’enlever la femme de votre propre frère.

LE COMTE.

Assez, duchesse, ma patience est à bout…

LA DUCHESSE.

Ne pouvoir se faire aimer et remplacer l’amour par la violence… oh ! c’est bien lâche !

LE COMTE, furieux.

Hors d’ici, hors d’ici, femme !… Des injures à moi ? — Hors d’ici ! — Des créatures comme vous, quand on n’en veut plus, on les jette hors du seuil. (Il la chasse.)

Ce dernier mouvement est admirable de brutalité. Je ne sais s’il sera trouvé digne de la scène et d’un comte de Poitou ; mais il est vrai et dans