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Les tragédies bretonnes qui, à notre connaissance, ont survécu à l’oubli sont en assez grand nombre ; nous citerons les suivantes : Saint Guillaume, comte de Poitou ; les quatre fils d’Aymon, Jacob, Sainte Trifine, Pharaon, Sainte Barbe (mystère imprimé dans le xvie siècle), Charlemagne. Nous ne parlons pas des Amours du vieillard, comédie mentionnée par dom Le Pelletier, ni du drame intitulé Tragédie sacrée commencée au jardin des Oliviers jusqu’à la montagne du Calvaire, ni de celui connu sous le nom de la Passion et résurrection de Jésus-Christ, parce que nous n’avons pu, malgré tous nos efforts, nous procurer aucune de ces pièces. Toutes ont cependant été imprimées vers le commencement du xvie siècle.

Parmi les tragédies bretonnes, une seule porte la date de 1530. C’est Sainte Barbe. Les autres, manuscrites ou récemment imprimées, n’ont conservé aucune indication en chiffre de l’époque où elles furent composées ; mais à défaut de dates, il est mille indications qui prouvent d’une manière certaine qu’elles appartiennent aussi au xvie siècle. Ainsi, par exemple, dans Saint Guillaume, comte de Poitou, un personnage, en énumérant les moyens de perdition indiqués aux femmes par Satan, parle du fard comme d’une récente invention. Or, le fard s’introduisit, comme on le sait, en France avec les Italiens de la cour de Médicis. Dans la même pièce, il est souvent question de l’hérésie de Luther, que l’auteur confond avec le paganisme et la religion de Mahomet, ce qui suppose que le protestantisme était récent, et n’avait point encore pénétré en Bretagne, sans quoi l’ignorance du dramaturge à cet égard n’eût point été possible. Au commencement de la tragédie de Sainte Trifine, le roi Arthur fait une énumération complète des villes de Bretagne qu’il a sous sa domination, et dans cette énumération ne se trouve point Lorient. Cet oubli ne peut s’expliquer qu’en admettant que le drame est antérieur à la fondation de cette ville qui est en effet moderne. Dans Jacob, on voit les Hébreux jouant du rebec (rebed), et l’on sait qu’à la fin du xvie siècle, le rebec n’était guère plus en usage. Il fut remplacé par le violon (vyolon)[1]. Dans la même tragédie, mille détails viennent révéler les mœurs féodales de l’époque à laquelle le poète dut écrire. Putiphar, nommé gouverneur par Pharaon, explique à Joseph, devenu son esclave, ce qu’il aura à faire et lui dit : — « Il te faudra fourbir mes armes et mes éperons, soigner mes

  1. C’est à tort que Grégoire de Rosternen, dans son Dictionnaire breton, donne pour traduction du mot violon les mots rebed et vyolons indifféremment. Le dernier de ces mots, qui est le seul en usage, a évidemment remplacé l’autre, qui est beaucoup plus ancien, et qui désignait un instrument analogue au violon, mais cependant différent.