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Saint-Pierre, de M. de Chateaubriand surtout, la connaissance particulière qu’elle fit de Mme Dufresnoy, et jusqu’aux conseils qu’elle reçut de Mollevaut, contribuèrent à fixer la vocation poétique de Mme Tastu. Une de ses idylles, le Narcisse, composée à dix-sept ans, et insérée à son insu dans le Mercure, amena son mariage en 1816. Elle quitta aussitôt après Paris, pour Perpignan, et ce doux fruit du nord s’en alla, durant plus de quatre ans, achever de mûrir et de se colorer sous le soleil du Roussillon. Plusieurs prix, remportés aux Jeux Floraux, commencèrent dans le midi la réputation de la jeune femme ; mais ce qui la fit d’abord remarquer des juges littéraires de Paris, ce fut sa pièce, publiée en 1825, à l’occasion du Sacre. Entre tant de poèmes de circonstance où le faste des mots et des ornemens cachait mal la disette de l’inspiration, les Oiseaux du Sacre se distinguaient par leur originalité naïve, touchante, convenable à une délicatesse de femme, d’une femme qui savait aussi faire entendre des accens de liberté. C’était une muse timide et pudique qui s’annonçait dans les rangs libéraux, honorés alors par Casimir Delavigne et Béranger. Le Globe salua cette pièce de ses éloges, et quand le premier recueil de Mme Tastu parut l’année suivante (1826), M. Dubois, en citant l’Ange Gardien, caractérisa, par quelques lignes bien senties, ce genre nouveau d’élégie domestique. Dans la vie de mérite et de dignité que l’auteur s’est faite, l’Ange Gardien a été et a dû rester son chef-d’œuvre. Il y a un moment unique où toutes les pensées, tous les rêves chastes et poétiques à la fois, se rencontrent dans l’ame de la jeune fille, de la jeune femme ; c’est à la veille ou au lendemain du jour qu’embaume pour elle la fleur d’oranger. Cet instant passé, si elle est pure, si elle est sévère, si son cœur, même dans les ennuis et les traverses, s’interdit toutes insinuations décevantes, elle n’a plus qu’à regarder parfois en arrière, à regretter, à se soumettre, à ne vivre que dans le bonheur des siens, à espérer au-delà de cette vie dans les malheurs. Mais même heureuse, même comblée ici-bas comme épouse et comme mère, son roman est clos, son poème s’en est allé ; le voilà hors de son atteinte, suspendu au plus obscur de l’alcôve nuptiale, avec la couronne d’oranger près du crucifix. Mme Tastu, dans une belle pièce de son dernier recueil (le Temps), montre les mortels partages en trois classes : les uns,