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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

dans l’existence concentrée et casanière de notre poète. La jeune fille de treize ans s’essaya, non plus à des couplets, mais à de vraies pièces de vers, à des idylles sur les diverses fleurs ; il y avait grand emploi, comme on peut croire, du langage mythologique. La première de ses pièces, le Réséda, fut présentée à l’impératrice Joséphine, en 1809, et valut à la muse précoce de vifs éloges, que sa modestie sut dès-lors réduire. Un des traits du caractère et du talent de Mme Tastu, et qui la distingue entre les femmes-poètes d’aujourd’hui, c’est cette justesse de sens, une vue constamment nette et non troublée. Elle n’y arriva pas sans efforts, et dut souvent se vaincre. Enfant, sous son air calme, elle était passionnée, peu flexible, violente même ; elle perdit un jour, à onze ans, son prix de sagesse, pour un soufflet donné. Mais sa volonté plus forte prit l’empire.

Jusqu’à quel point cette discipline morale, régulière, contractée de bonne heure, et toujours observée dans la suite, favorise-t-elle ce qu’on appelle talent poétique, et ce qu’admire le monde sous ce nom ? Je ne veux pas le discuter ici. Mais en suivant la destinée poétique de Mme Tastu, en la voyant cheminer si pure, si attentive et discrète, si comprimée parfois dans sa ligne tracée ; en lui entendant opposer d’autres talens de femme, plus brûlans, plus passionnés en apparence, et non pas soutenus d’ames plus profondes, je me suis dit que bien des bonnes et essentielles qualités interdisent souvent à des qualités plus spécieuses ou à de brillans défauts de se produire avec avantage. La plus célèbre des femmes de ce temps, parlant quelque part du caractère d’un de ses héros, le compare à une chaîne d’airain ; mais il y avait dans cette chaîne, dit-elle, un anneau d’or qui, à l’occasion, rompait toujours ; cet anneau d’or, c’était une bonne qualité, mêlée à d’autres plus énergiques que morales. Les bonnes qualités, chez la femme-poète surtout, sont comme des mères tendres et prévoyantes qui retiennent à temps l’enfant prodigue près de s’échapper, et cet enfant prodigue s’en irait sans cela par le monde, accroissant son renom et gagnant la gloire. Ne perdons point ceci de vue, en appréciant un talent à demi voilé, qui n’est allé qu’à une gloire décente sous le contrôle du devoir.

À seize ans, la lecture de Gessner, d’Ossian, de Bernardin de