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rieux et un caractère qui semble avoir eu de l’analogie avec celui de Mme Roland. C’est en elle, sans doute, que sa fille a puisé, nonobstant ses tendresses de femme-poète, ce sens judicieux, ferme, suivi, un peu mâle, ce bon esprit instruit, appliqué, ces lignes sûres et correctes, et ce quelque chose d’étranger et même de contraire à toute vapeur aristocratique. Dès l’âge de quatre ans, la jeune Amable faisait preuve d’une grande intelligence et d’une surprenante mémoire ; elle avait pour la lecture une véritable passion, et il lui fallait cacher les livres qu’elle dévorait. Elle sentit de bonne heure la mesure du vers, et si quelqu’un faisait un vers faux en lisant, son oreille était blessée. À sept ans et demi elle perdit sa mère, qui avait voulu aller mourir à Metz au milieu de sa famille ; car, atteinte d’une maladie de poitrine incurable, cette femme de vertu ne s’abusa pas un moment sur son état, et se disposa à la mort avec calme, comme pour un voyage. Cette mort jeta une ombre sur tout le reste d’une enfance si sensible. De retour à Paris avec son père, plus de jeux, un redoublement de lecture, ou par intervalles une sorte de rêverie nonchalante qui faisait demeurer l’enfant assise, les bras croisés, avec ce grand œil fixe, sans presque aucun mouvement de paupière. L’imagination s’éveillait déjà en elle, une espèce d’imagination qui s’isole en le voulant, pleine de suite en son rêve, compatible avec les qualités de la vie positive, et qui ne fait jamais confusion avec la réalité ; elle-même l’a décrite à merveille dans son conte en prose du Bracelet maure. Elle lut et relut l’Homère de Bitaubé à neuf ans ; dès cet âge elle se plaisait à composer des couplets sur des airs qui mesuraient naturellement ses rimes. La vue fréquente des collections de gravures dans le cabinet de son père l’habituait aux lignes précises du dessin. Pourtant, cette vie de rêverie et de lecture altéra sa santé, et vers onze ans elle fit une maladie, dont la guérit le docteur Alibert, mais qui la laissa quelques années chétive. Que d’efforts et quel douloureux acheminement, ô nature, pour arriver à la puberté du talent ! Une année de pension, le second mariage de son père, qui épousa une jeune personne, douée elle-même du goût et du talent d’écrire[1], apportèrent quelque variété

  1. Mme Voïart, connue par plusieurs agréables ouvrages.