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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

Mme Tastu appartient à cette classe de talens dont elle est comme un grave et doux modèle. Elle s’y est rangée elle-même, lorsque, dans son premier recueil, elle adressait à M. Victor Hugo les vers suivans :


Heureux qui, dans l’essor d’une verve facile,
Soumet à ses pensers un langage docile ;
Qui ne sent point sa voix expirer dans son sein,
Ni la lyre impuissante échapper à sa main,
Et cherchant cet accord où l’ame se révèle,
Jamais n’a dû maudire une note rebelle !…
Hélas ! ce n’est pas moi !… D’un cri de liberté
Jamais, comme mon cœur, mon vers n’a palpité ;
Jamais le rhythme heureux, la cadence constante,
N’ont traduit ma pensée au gré de mon attente ;
Jamais les pleurs réels à mes yeux arrachés
N’ont pu mouiller ces chants de ma veine épanchés !


Dans son recueil nouveau, elle parle encore de ce talent, qui n’est, dit-elle, qu’une lutte intime d’ardens pensers et de frêles accords. Mais, quoi qu’elle en dise, et malgré l’effort douloureux pour elle, l’accord nous arrive en mainte rencontre bien vibrant et bien pénétrant, et comme il n’est donné qu’à un vrai poète de le produire. Mme Tastu, par cela même que son talent porte sur une sensibilité toute réelle, doit être prise dès le début de sa vie, et nous la suivrons d’abord pas à pas. Elle est née à Metz de M. Voïart, administrateur-général des vivres, et de Mlle Bouchotte, sœur du ministre de la guerre sous la république ; c’est déjà dire que la lignée de notre poète est en plein dans cette bourgeoisie illustrée par la révolution ; et les sentimens patriotiques, que les invasions de 1814 et de 1815 développèrent si fort chez elle, représentent bien ceux de cette vaillante cité, sentinelle de la frontière. Est-il convenable de noter que son père faisait avec une grande facilité ce qu’on appelait des vers de société, bouts-rimés, couplets, etc., bagatelle fort à la mode de son temps, et dans laquelle le beau-frère de Bouchotte égalait peut-être le célèbre ingénieur Carnot ? Mais la mère de Mme Tastu, à une faculté poétique naturelle et remarquablement élevée, unissait beaucoup de mérite sé-