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qui crée de l’acteur qui traduit. Chaque soir, le succès des Puritains est immense, et cet opéra nouveau fera la fortune du Théâtre-Italien, sinon la gloire de M. Bellini. — On annonce pour demain le Don Juan de Mozart. Ouvrez toutes les portes, afin que l’air se renouvelle, et que les chants d’Anna, de Zerline et d’Elvire ne rencontrent pas dans le vide quelques sons oubliés des Puritains d’Écosse.

Au Théâtre-Italien, au Conservatoire, partout règne l’activité la plus ardente, partout on s’occupe de musique, excepté pourtant à l’Opéra français, où la Sylphide, la Révolte au Sérail et Nathalie apparaissent chaque soir aux applaudissemens d’un public peu nombreux. Dans les grands jours, ceux qui furent assez bien inspirés pour louer une loge au commencement de l’hiver, jouissent de toutes les voluptés musicales, que procure l’audition du Philtre, du Serment et de la Bayadère. Tandis que le Théâtre-Italien essaie des opéras nouveaux, et reprend les anciens, que l’Opéra-Comique s’empare de Freyschütz, ce chef-d’œuvre immortel, qui donne de la voix à Jansenne, et de Mme Casimir fait presque une cantatrice ; tandis que le Conservatoire éveille sous ses voûtes de solennelles harmonies, lui, le vieux Opéra, dort immobile au soleil. Nous dirons plus tard dans quelle voie a marché jusqu’ici cette administration qui fut royale un jour. Et ce sera peut-être intéressant pour nos lecteurs de voir comment on a traité la musique en ce lieu, comment depuis quatre ans tous les honneurs ont été pour la danse, le dernier des beaux-arts, comment on est allé chercher M. Taglioni, lorsque Rossini était là, comment on a fait appel à Fanny Elssler pour danser les compositions de M. Taglioni, tandis qu’on avait Levasseur, Nourrit, Mme Damoreau et Mlle Falcon pour chanter les opéras de Rossini. Nous ferons plus tard cette histoire. En attendant, l’Opéra répète la Juive, et certes il doit la savoir, car voilà dix-huit mois qu’il se nourrit de cet aliment substantiel ! Il paraît que depuis long-temps tout est prêt pour la représentation, musique et chanteurs, mais qu’on attend encore un bon nombre d’armures. Car aujourd’hui, dans un opéra en cinq actes, il ne s’agit plus de mélodies, d’orchestre et de chanteurs, mais d’armures bien luisantes et de chevaux bien caparaçonnés. Aussi, le théâtre est converti depuis un mois en un vaste manège, où s’escriment jour et nuit de pauvres diables bardés de fer à l’instar de Maximilien. On n’a jamais poussé la bouffonnerie aussi loin ; ce sont les forgerons qui retardent aujourd’hui en France la mise en scène d’un opéra !