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deux qui remontent la scène ; car de différence musicale, il n’en existe plus, aujourd’hui que la cabalette se chante à l’unisson. Durant tout le cours de son opéra, M. Bellini a montré une profonde connaissance des moyens d’assurer un succès par la manière vraiment savante dont il a réparti les duos et les cavatines ; en effet, chaque acte a son morceau d’éclat, et son chanteur appelé à le faire valoir, de telle façon qu’en suivant la coutume adoptée par M. Hugo, qui donne un nouveau titre à chaque partie de ses drames, on pourrait appeler le premier acte des Puritains, Giulia Grisi ; le second, Tamburini et Lablache ; le troisième, Rubini. La polonaise que chante Giulia Grisi au premier acte, ne manque pas de grâce et de fraîcheur, et brille comme un petit diamant au milieu de ce chaos profond, et se distingue par son allure élégante et la vivacité de son rhythme tout rossinien.

Et puis, Mlle Grisi l’a dit avec une finesse exquise, et chaque note qui jaillit de sa voix a tant de vibration et de sonorité, qu’on dirait de cristal le palais qu’elle vient de frapper. Il est difficile de rien imaginer de plus lent et de plus monotone que le commencement du duo des deux basses, de plus vulgaire que la fin. Certes, si dans cet opéra, plus que médiocre, un morceau devait être rejeté avant tous, c’était celui-là ; eh bien ! le croira-t-on ? dès les dernières mesures, des applaudissemens frénétiques éclataient de toutes parts, et le même public qui peut-être, huit jours auparavant, avait entendu l’ouverture de la Flûte enchantée et la symphonie de Beethoven, redemandait à grands cris l’auteur d’une pareille musique. Dans ce duo, comme toujours, M. Bellini est resté fidèle à son procédé ordinaire ; seulement, lorsque l’instant de la cabalette est venu, c’est la voix du cornet à piston qui s’élève de l’orchestre : en vérité, voilà une innovation bien heureuse. Grâce à M. Bellini, le cornet à piston a pris droit de cité dans l’orchestre du Théâtre-Italien ; le cornet à piston, dont Lablache s’est tant et si spirituellement moqué dans la Prova. Qu’a donc à faire, s’il vous plaît, l’instrument de Musard et des concerts forains dans la salle de Cimarosa et de Rossini ?

Quand l’instrument vulgaire a donné le motif, Lablache s’en empare, le jette dans la salle avec toute la puissance de sa voix de géant, et comme si cette émission ne suffisait pas, arrive Tamburini, qui se joint à lui, et c’est alors une clameur non pareille. Leurs cous se tendent, leurs veines se gonflent ; l’effet est prodigieux, mais, en conscience, est-ce là un effet digne de Tamburini, dont l’expression est si vraie et si touchante dans la Straniera, de Lablache, dont l’intelligence dramatique est si haute et l’accent si profond dans l’admirable andante de la scène d’Assur ? Vraiment il est permis d’écrire de pareille musique, mais non de la donner à de tels chan-