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FRAGMENT POLITIQUE.

par d’avides intrigans, détruire progressivement les monopoles qui écrasent, dans l’intérêt de quelques privilégiés, son agriculture et son commerce, alléger l’impôt, l’asseoir sur de meilleures bases, et le répartir plus équitablement. C’est alors qu’on se serait occupé avec fruit de l’amélioration du sort du peuple, car la loi, cessant d’être l’expression des intérêts de quelques-uns, n’aurait plus étouffé, de sa dure et impérieuse voix, ce que l’humanité dit au cœur de quiconque possède une ame d’homme.

Nos idées, nos vœux de ce temps-là sont encore nos idées, nos vœux d’aujourd’hui. La réflexion ne les a modifiées qu’en un seul point. Plutôt afin de rapprocher des opinions sincères que par une réelle persuasion, nous nous montrâmes indifférens sur la grande question de l’hérédité du pouvoir, pourvu que ce pouvoir couronnât un ensemble d’institutions vraiment libres. Nous déclarâmes enfin la monarchie compatible avec la république. Que cette pensée fût, à l’époque où nous l’énoncions, et qu’elle ait continué d’être celle de plusieurs, on ne s’en étonne pas moins que des esprits sensés aient pu l’admettre un seul moment. Dans une société libre, le pouvoir, simple exécuteur de la volonté nationale, ne commande pas, il obéit ; or, qu’est-ce qu’un droit héréditaire d’obéissance ? Dans une société libre, le pouvoir répond de ses actes au peuple qui l’a délégué, sans quoi la liberté, pouvant être impunément violée à tous les instans, ne serait qu’une fiction dérisoire, un vain nom : or, si le pouvoir est responsable, si le peuple qui le donne peut aussi l’ôter, comment est-il héréditaire ? Et s’il est réellement héréditaire ou inadmissible, excepté par suite d’une révolution que jamais la loi ne prévoit ni ne doit prévoir, comment serait-il responsable, comment le peuple qui l’a donné pourrait-il l’ôter, en cas d’abus ? Mais ce cas, dit-on, n’arrivera point, ou n’arrivera que rarement. C’est bien connaître la nature humaine ! Dites que nécessairement il arrivera toujours. Les intérêts de l’état sont-ils les intérêts de celui qui le gouverne ? Les intérêts de sa famille sont-ils les intérêts de toutes les autres familles ? Il tendra sans cesse à augmenter ses richesses, sa puissance, ne fût-ce que pour se défendre si on l’attaque, pour se maintenir s’il advenait qu’on essayât de le renverser. Vous le faites fort, vous le faites inviolable, et vous vous figurez que perpétuellement