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LETTRE POLITIQUE.

est personnellement intéressée dans la réclamation. Cette banque est non-seulement créancière, mais elle est aussi dépositaire de certains fonds dont le cabinet français sait bien l’origine, et qui pourraient servir à une compensation. Je ne crois pas que les choses aillent jusque-là, mais il est constant qu’il y a eu menace de séquestre pour des sommes considérables qui sont actuellement à la banque des États-Unis, et que cette menace a jeté l’alarme, et pourrait expliquer la persévérance active qu’on apporte à faire adopter le projet de loi.

Nous sommes ici dans une grande anxiété à ce sujet : nous ne croyons pas à la guerre ; mais nous voudrions savoir jusqu’à quel point se continuera cette querelle entre le gouvernement américain et le vôtre. Pour nous qui sommes plus avancés en économie politique, il y a un argument qui nous fait sourire et qu’on reproduit en France jusqu’à satiété, à savoir, que si vous n’accordez pas les vingt-cinq millions aux États-Unis, ils ne viendront plus chez vous prendre leurs soieries et leurs denrées. Jusqu’à présent les économistes avaient pensé que les rapports de peuple à peuple s’établissaient par les besoins réciproques, et que ce ne sont pas les gracieusetés mutuelles, mais le bon marché qui les attire. Vous donneriez millions sur millions aux États-Unis, que si la Suisse fournissait ses soieries à meilleur compte, ils iraient en Suisse les chercher ; et d’un autre côté, vous leur refuseriez toute espèce de justes indemnités, que s’ils trouvaient vos vins à meilleur compte à Bordeaux et à Cette que sur d’autres marchés, ils viendraient les y acheter. L’intérêt est le mobile du commerce ; s’il y a une grande consommation de soie en Amérique, on ne cessera pas de s’en vêtir, parce que le général Jackson menacera la France ; et si la consommation existe, on cherchera le meilleur marché pour s’y pourvoir. Aujourd’hui, un système prohibitif est impossible, l’augmentation des tarifs est une mesure qui ne peut pas durer long-temps ; on ne peut revenir aux licences impériales, aux vieilleries du despotisme commercial ; les représailles ne tiennent pas devant l’intérêt bien entendu des peuples. L’Amérique a ses cotons, elle a besoin d’un débouché ; si vous lui offrez un avantage, elle vous les donnera ; à son tour, si elle a besoin de vos soies et de vos vins, elle viendra les prendre. Au lieu donc de lui payer une contribution commerciale, employez vos ressources intellectuelles et matérielles à fabriquer à meilleur compte, à donner à bas prix, et vous asseoierez votre prospérité commerciale sur des bases solides. Payez donc, si vous devez, mais ne payez que si vous devez réellement.

Ce qu’il faudra que votre chambre examine, c’est de savoir si l’état de guerre n’a pas autorisé les décrets de Berlin et de Milan comme