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LETTRE POLITIQUE.

une activité merveilleuse ; des récompenses furent promises ; l’opinion, qui marche tout d’une pièce, eût alors salué la créance américaine, comme elle avait salué la liberté du pays.

Quand le roi Louis-Philippe fut élevé au trône, il trouva cette négociation engagée. Plein de prévoyances et de souvenirs, le roi se déclara pour la créance américaine ; l’Amérique avait vu ses courses laborieuses, ses jours d’exil et d’infortunes ; des jours d’infortunes et d’exil ne pourraient-ils pas le conduire de nouveau en Amérique ? Pourquoi des sueurs économes ne seraient-elles pas déposées là, dans une banque de prévoyance ? Et quand le lion populaire grondait encore, lorsque le Palais-Royal était assiégé par l’émeute, lorsqu’on effaçait les armoiries, et que des cris menaçans effrayaient la royauté de quelques semaines, n’était-il pas dans l’intérêt du père de famille de songer à l’avenir d’une nombreuse race, et de capter la bienveillance d’un jeune peuple par la signature d’un traité, sorte de cadeau de joyeux avènement ?

La position du plénipotentiaire américain devint de plus en plus facile ; il ne s’agissait plus que de fixer la quotité de la somme réclamée. Je vous assure qu’on n’en savait pas la première base, qu’il n’y avait pas plus de raison de fixer 25 millions que 100 mille ; c’était un pur forfait, une générosité dont les limites ne pouvaient être légalement indiquées. Un grand nombre de ces créances sont inconnues ; les personnes qui ont pris quelque part à cette négociation, et particulièrement M. Hyde de Neuville, affirment qu’un tiers de ces titres est tombé, par déshérence des propriétaires, dans les mains du gouvernement des États-Unis ; la banque de l’Union possède un autre tiers, et la dernière partie revient à des particuliers américains ou à des citoyens français, sorte d’acheteurs de mauvaises créances. Un certain nombre de ces créanciers avait donné plein pouvoir à M. Berryer pour agir auprès de M. de Villèle, et M. Berryer, quoique ami du ministre, avait toujours été repoussé.

Vous savez aussi qu’une des tristes plaies qui accompagna la révolution de juillet, fut cette avidité qui poussa quelques hommes à se ruer sur le trésor. Quand la grande histoire viendra pour recueillir tous les détails de cette époque exceptionnelle, elle rappellera avec indignation qu’à côté de ce peuple si désintéressé, se trouvait une compagnie de loups cerviers de la révolution, affamés de pots-de-vin et d’argent. Que de transactions honteuses furent alors conclues ! Généraux, députés, accoururent au grand festin des premiers jours du gouvernement nouveau. Quel meilleur temps pour une stipulation de traités à millions ! Je n’accuse personne ; mais pour le général Sébastiani, un autre motif le déterminait : tout plein de vanité et de faste, il était impatient d’apposer sa signature sur