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LETTRE POLITIQUE.

suent long-temps à Oxford et à Cambridge dans l’étude du droit des gens et de la diplomatie européenne ; aussi nos discussions sont-elles pleines d’idées positives et de principes rationnels. Si nous parlons d’un traité, nous en savons toutes les phases ; si nous rappelons nos vieilles guerres, il n’est pas un enfant de nos universités qui ne les récite de mémoire. Dans votre chambre des députés, on fait beaucoup d’esprit ; on attaque merveilleusement la personne d’un ministre, on taquine tel conseiller de la couronne sur son banc, on épelle une petite leçon d’éloquence à l’usage des tribunes et des journaux, on se crée une popularité de tavernes et de clubs ; mais les principes généraux, les grandes idées nationales, les annales du pays, tout cela est négligé par les élus de vos colléges, et par les ministres un peu plus encore que par les députes.

Pourtant jamais question plus importante du droit des gens que celle qu’allait soulever le traité avec les États-Unis. Il fallait embrasser toute l’histoire des dernières années du grand empire, la lutte si vigoureusement engagée entre deux puissantes nations, puis, au milieu de cette lutte, les droits et les priviléges des neutres, leurs devoirs aussi, les hautes questions de blocus, les tristes nécessités de la guerre, qu’il fallait révéler en face des générations nouvelles. Je ne remarquai dans vos séances que deux discours développés, d’abord celui de M. Bignon, tout préoccupé de sa position sous l’empire, position secondaire, qui ne s’éleva jamais à la pensée de l’empereur. Ce discours était une apologie terre à terre du système de Napoléon à l’égard de l’Angleterre, chose dite, faite et refaite avec toutes les formes de l’exagération par MM. d’Hauterive et de Rayneval en 1812, thème d’un historien qui a assisté aux faits sans les voir et sans pénétrer leur esprit.

Le second discours écrit fut celui de M. de Broglie, orateur d’une école différente, d’une érudition immense, mais sans grande portée. Si M. Bignon appartenait au système impérial de corps et d’âme, M. de Broglie, fils de la coterie de Mme de Staël, de cette opposition sérieuse avec l’école génevoise, puis de tribuns de bonne compagnie avec Benjamin Constant, MM. de Montmorency et de Sabran ; M. de Broglie devait voir la question des États-Unis trop exclusivement dans les intérêts de l’Amérique contre la France impériale. Aussi son discours fut-il une apologie, apologie des neutres en face des deux grands belligérans, Napoléon et l’Angleterre ; on vit, défendant les droits de la paix, l’homme essentiellement pacifique, le descendant du maréchal de Broglie, à qui Napoléon ne pardonna jamais de solliciter une place d’auditeur au conseil d’état, lorsqu’il lui offrait une épée.

Me sera-t-il permis de m’élever un peu au-dessus de cet esprit étroit