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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

magnifique couronnement, et Spenser pour ornement plein de grâce, appartient à l’influence italienne. Dans Shakspeare, le génie du Nord domine sans doute ; génie impartial, observateur, appréciateur, génie qui juge et qui compare ; cependant, à la lecture de Lucrèce ; de Vénus et Adonis, du Marchand de Venise, d’Othello, des Gentilshommes de Vérone, surtout de Roméo et Juliette, et des sonnets de ce grand homme, on voit combien le génie italien avait pénétré intimement dans la civilisation nouvelle de l’Angleterre. Spenser, tout italien par la forme, emprunte à l’allégorie symbolique du moyen-âge la fiction de ses récits. Quant aux poètes du second ordre, ils ne font, au xvie siècle, qu’imiter Pétrarque et son école. Ce mode italien se perpétue jusqu’au règne des poètes métaphysiques. Ils sont à l’Angleterre ce que les Gongoristes sont à l’Espagne, les élèves de Benserade et de Dorat à la France, et les sectateurs de Marini à l’Italie ; gens qui abusent d’un penchant national et le poussent au ridicule, à travers tous les raffinemens du style. La prédominance des casuistes, le règne des arguties, l’éternelle escrime des controverses avaient accoutumé les esprits à toutes les subtilités d’une dialectique épineuse ; il fut étrange de voir ces subtilités devenir poésie, ces épines se changer en fleurs, et la théologie des écoles remplacer la muse nationale. Telle fut l’inspiration de Cowley, homme d’un esprit infini, et que de son temps on préférait à Milton. Cowley n’est qu’un casuiste en vers.

Lisez le Paradis perdu ; vous verrez si les conversations de l’Ange avec Adam ne portent pas la même empreinte ; mais le grand homme allait puiser à une autre source bien plus profonde : la foi religieuse l’animait. Quant à la forme, il l’empruntait aux anciens, modifiés par l’Italie ; et c’est le caractère particulier de son talent, d’être calviniste et mélancolique par la pensée, riant, lumineux et fécond par la diction et le style. Il faut le rattacher au groupe de Spenser et de Shakspeare ; ce sont ses frères et ses rivaux. Il produisit peu d’impression sur son siècle ; la métaphysique glaciale de Cowley avait conquis tous les suffrages. Des arguties pindariques ! des syllogismes en épodes ! des enthymèmes en dithyrambes ! Il n’y a pas de folie que l’esprit humain ne soit capable d’adorer.

Mais voici Charles ii. Il revient avec sa troupe licencieuse ; the jovial king, le roi de bonne humeur, traîne après lui une cour toute