Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.
257
HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

Si j’emprunte à la statuaire les modèles de la beauté vraie, c’est que la forme sans la couleur est l’expression la plus parfaite de la beauté ; la musique elle-même, dans ses inspirations les plus pures, a quelque chose de sensuel. Mais comme symbole de l’idéalité dans l’harmonie, comme la plus complète manifestation de l’ordre dans le mouvement, il est permis d’accepter les compositions épiques de Claude Gelée. Nulle part en effet la disposition savante des parties, la merveilleuse combinaison des détails, ne réussit à produire un sentiment plus calme et plus heureux. La vie est présente, mais une vie sans trouble et sans agitation. Sur le premier plan, les ruines d’un temple abandonné depuis long-temps ; la mousse grandit sur les marches du portique, le fronton lui-même est couronné d’un bandeau de verdure ; au-delà quelques arbres centenaires, dont les branches éclaircies laissent apercevoir les derniers rayons du soleil ; dans le fond, une troupe de laboureurs qui reviennent en paix après le travail de la journée. Les hommes, les arbres et le temple sont faits l’un pour l’autre ; l’absence d’une branche, ou d’un fût de colonne, laisserait dans ce beau poème une lacune coupable. Chaque chose est nécessaire à sa place, et c’est pour cela précisément que les admirables épopées du Lorrain atteignent presque toujours à la beauté idéale. Il n’a pour lui ni la nouveauté des sites, ni l’éclat de la couleur, ni la réalité patiente des détails ; il se propose avant tout l’harmonie. Il sait se garder de la froideur et de l’immobilité ; il établit entre tous les épisodes de l’invention un enchaînement rigoureux et facile à saisir ; il adoucit les ondulations du terrain ; il éteint les couleurs trop vives, et par une série de transitions invisibles, il fait de toute une campagne l’expression obéissante d’une seule pensée ; il élève l’harmonie jusqu’au panthéisme.

Maintenant, après avoir défini le bien et le beau, nous pouvons nous demander quelles sont les relations de la loi morale et de la loi poétique.

Aux divisions de la beauté que je viens d’indiquer, se rattachent des divisions pareilles dans l’invention. Ainsi de nos jours nous voyons en présence deux poésies profondément diverses, l’une qui s’adresse aux yeux, l’autre à l’âme. Or, déterminer la moralité de l’invention, c’est tout simplement apercevoir et démontrer laquelle