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Pour la grâce dans la chasteté, je ne sais pas de type plus heureux que la Vénus de Milo. Que ce fragment inestimable ait appartenu à un groupe aujourd’hui mutilé, ou que l’attitude réalisée par l’artiste soit un caprice de sa pensée, peu importe assurément ; mais ce qui frappe surtout dans ce morceau, c’est l’inviolable pudeur qui anime et règle tous les mouvemens de la figure. Jamais beauté plus achevée ne s’offrit à l’œil humain ; les épaules et le cou ne laissent rien à souhaiter au regard le plus sévère ; elle est demi-nue, sa gorge est découverte, et pourtant pas un désir ne s’éveille en sa présence ; sa taille fléchit voluptueusement, et la draperie, loin de nous cacher un seul de ses charmes, les multiplie en les dissimulant. Partout la beauté rayonne, mais partout aussi la divinité ; la tête, irrégulière à dessein, mais irrégulière seulement pour l’œil qui ne se tient pas à distance, avec ses joues inégales, couronne merveilleusement cette statue si gracieuse et si pudique. À voir comme s’ordonnent les lignes et les plans de ce beau corps, qui oserait dire que l’artiste s’en est tenu à la chasteté dans l’impuissance d’exprimer le plaisir ? Celui qui a su trouver dans le marbre cette chair vivante, qui a mis le sourire sur les lèvres, et le regard dans les yeux, mais aussi le bonheur dans le sourire, et la sécurité dans le regard, aurait pu, n’en doutez pas, ciseler à la même heure la courtisane amoureuse. Il aurait pu ouvrir la bouche de la déesse, comme pour un baiser lascif, il aurait pu replier la paupière sous l’orbite et animer le regard de tous les feux du désir. Le cou, si mollement incliné sur l’épaule, se serait pâmé sous les caresses ; mais l’artiste ne l’a pas voulu, et il a bien fait : il avait à créer la déesse de la beauté, il ne s’est pas trompé sur la tâche qu’il avait choisie ; avec moins de sagacité, il nous eût donné la déesse du plaisir.

Ici la chasteté joue le même rôle que la simplicité dans l’œuvre de Phidias ; des deux parts, si l’on y prend garde, c’est le même procédé d’invention ; la beauté chaste et la grandeur simple produisent en nous une impression pareille ; les formes simples attestent la vraie force, comme la chasteté atteste la beauté vraie. Thésée est calme dans sa grandeur ; il n’a qu’à se lever pour frapper un coup terrible. La Vénus de Milo n’a pas le sourire invitant et hardi ; elle n’a qu’à se montrer, elle est sûre de plaire.