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gereux. Je n’aimerai pas, se dit l’ambitieux, je commanderai à mes affections de s’attiédir ; qui sait où elles pourraient me conduire et m’entraîner ? Je laisse aux enfans et aux femmes ce frivole délassement, ce ridicule gaspillage de temps et de forces ; qu’ils admirent, qu’ils se dévouent, qu’ils répandent leur sang pour l’accomplissement d’un désir effréné ; qu’ils méconnaissent follement ce qui leur est bon ; qu’ils perdent pied et se noient. Pour moi, je sonderai le gué avant de faire un pas ; j’irai moins vite, mais plus sûrement. Qu’ils se glorifient dans leur douleur, qu’ils ouvrent leurs plaies avec une ostentation insolente ; qu’ils étalent leurs blessures comme une pourpre impériale ; je serai plus sage, et à moindres frais. Tous les dévouemens se résolvent dans l’abandon ; l’exaltation est chose passagère ; je prendrai les devans, et je ne me dévouerai pas. Je m’abstiendrai de l’espérance, car la terre est jonchée de désolations.

L’étude est un autre péril dont je saurai bien aussi me préserver. Je ne perdrai pas mon temps dans les contemplations stériles de la pensée. Je n’userai pas mes yeux sur les livres, car les livres ne donnent pas la puissance. Je laisse aux eunuques les savantes conjectures sur la température intérieure du globe, sur la destinée humaine. Que me font tous ces problèmes obscurs ? Résolus par moi, rendraient-ils mon bras plus fort, ma voix plus haute, mon œil plus perçant ? Le savoir n’est bon qu’à multiplier les inquiétudes, à perpétuer l’irrésolution. La moitié du courage appartient à l’ignorance. C’est une leçon impérieuse et qui me prescrit ma conduite future.

N’est-ce pas là le secret des volontés persévérantes et victorieuses ? N’est-ce pas une perversité plus coupable encore que l’intelligence égoïste, ou la passion imprévoyante ? Le monde s’agenouille devant la volonté, et sourit de pitié aux souffrances du cœur comme aux doutes de la pensée. Mais le moraliste n’a pas à régler son suffrage sur la clameur populaire. Il n’a rien à démêler avec le bourdonnement tumultueux qui s’appelle l’opinion. Avant de prononcer, il doit se consulter, et sa parole austère n’est que l’écho fidèle d’une voix intérieure, le reflet d’un invisible spectacle.

Or, assuré sans retour de la dépravation attachée inévitable-