Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/216

Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
REVUE DES DEUX MONDES.

poids du travail. Jeune, il s’est dévoué de toute son âme à la science, et il n’a pas songé que cette science, rude jouteuse, le ferait plus d’une fois chanceler sur l’arène. Et moi aussi, dit-il dans son livre, j’ai voulu accomplir ma croisade en faveur de mon pays[1]. Une belle et noble croisade, où il s’en est allé en soldat courageux, supportant sans se plaindre la longueur de la marche et la chaleur du jour, souvent seul sur la route, ayant à lutter contre l’indifférence, cette implacable ennemie des grandes pensées, souvent triste malgré lui, cherchant en vain à se reprendre aux croyances qui l’entraînent de loin, et regardant d’un œil vif et pensif, et peut-être mêlé de quelques larmes, les lieux qu’il a quittés, l’humble foyer où il pouvait poser sa tête en paix et s’endormir comme les autres dans le plaisir et l’insouciance ! Puis, le voici revenu de ses courses aventureuses. Sa croisade est finie, à nous d’en profiter. Si le voyageur arrive, comme Colomb, avec un rameau d’arbre des nouvelles contrées qu’il a découvertes, n’irez-vous pas le recevoir et lui faire accueil ? Si le messager accourt de loin, tout épuisé comme l’Athénien pour vous annoncer la bonne nouvelle, oh ! ne lui tendrez-vous pas la main ? Ainsi vient le jeune historien. Aidez-lui donc. Et si parfois, à travers son chant de victoire, il laisse échapper un son plaintif ; si, au milieu de ces belles pages, où il a pris à tâche de retracer le progrès moral et intellectuel de notre pays, il lui arrive d’inscrire ce mot αναγϰη (anangkê), c’est que la lassitude est venue le saisir au cœur. Aidez-lui donc.

Nous devions déjà à M. Michelet des ouvrages essentiels, dont nul de nous, sans doute, n’a perdu le souvenir. Nous lui devions, entre autres, l’interprétation des œuvres de Vico, une histoire romaine neuve et hardie, et une belle introduction à l’histoire universelle. Mais toutes ses œuvres antérieures ne semblaient être pour lui qu’un prélude à celle qu’il devait essayer aujourd’hui ; çà et là, on voit toujours percer son idée dominante, son désir d’écrire une histoire de France. Ne vous étonnez pas qu’il s’en aille chercher si loin des matériaux ; son ardent patriotisme lui fait tout ramener à son point de départ, à la France. Ce ne serait pas trop, dit-il dans

  1. Histoire de France, tom. ii.