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LETTRE POLITIQUE.

d’arrêter le mouvement parlementaire. Le dégoût s’empara tout à coup de la vieillesse du comte Grey ; il ne voulut pas porter une main sacrilége sur l’église, il offrit sa démission ; et vous vous souvenez de ces explications touchantes données en plein parlement sur sa propre conduite ministérielle. La retraite du comte Grey signala de plus en plus le danger à M. de Talleyrand. Dès la nomination de lord Melbourne, prévoyant l’invincible tendance des affaires, le triomphe des ultra-whigs, et peut-être de lord Durham, l’ambassadeur de France songea à sa retraite, car il n’avait plus à Londres ce premier rôle qu’il a toujours ambitionné.

Une autre circonstance vint encore se joindre à celle-ci. Dans la révolution que venait de subir le ministère whig lui-même, lord Palmerston avait conservé le Foreign Office : ses opinions étaient d’un whigisme plus avancé que celles du comte Grey ; déjà il y avait eu entre M. de Talleyrand et lord Palmerston, caractère difficile, quelques dissidences sérieuses. Dès l’origine de leur ministère, les whigs avaient senti qu’il fallait relever leur considération à l’extérieur ; ils n’ignoraient pas que la nation anglaise, qui les préférait pour leurs opinions populaires et leurs sentimens patriotiques, n’avait pas une grande confiance dans leur habitude des affaires et leur intelligence de la situation de l’Europe. Lord Palmerston croyait inévitable une certaine démonstration armée dans la question de l’Orient, après le traité du 8 juillet, qui assurait de si grands avantages à la Russie ; il avait donc fait à M. de Talleyrand des propositions pour réunir deux escadres communes, qui vogueraient sous les deux pavillons dans la mer Noire.

M. de Talleyrand, qui comprenait tout l’intérêt que les whigs avaient à cette démonstration armée, sentait également qu’elle était trop hardie dans la situation où le trône de juillet se trouvait placé. Puissance continentale, la France pouvait bien appeler l’alliance de l’Angleterre, et la seconder de toutes ses forces ; mais elle avait sur ses flancs toute la Sainte-Alliance. Cette hostilité pouvait entraîner une guerre véritable ; dans la pensée de l’ambassadeur français, il fallait fortifier l’alliance morale, poser une barrière pour résister aux envahissemens de la Russie ; mais c’était un pas immense qu’une attaque directe contre le pavillon russe dans la mer Noire. M. de Talleyrand recula donc devant les propositions de lord Palmerston ; il exposa qu’au lieu d’une démonstration armée, chanceuse, inutile peut-être, il fallait préparer un de ces actes significatifs pour l’avenir de la politique ; il fit comprendre à lord Palmerston qu’un traité de quadruple alliance, qui unirait le Midi contre le Nord, devait aboutir à de grands résultats, même à travers les chances diverses et passagères d’une guerre de parti. C’est à cette pensée qu’est