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consolation, car nous n’avons pas grand mérite à n’être pas de ces gens-là. N’avons-nous pas traversé leurs fêtes, n’y avons-nous pas bu le poison de la vanité et du mensonge ? Si le grand air nous a dégrisés, c’est que le hasard ou la Providence nous a fait sortir de l’atmosphère funeste et nous a forcés d’être dans un champ plutôt que dans un palais. Mon ami, ce qu’on appelle la vertu existe certainement, mais elle existe chez les hommes d’exception seulement ; chez nous autres, ce que l’on veut bien appeler honnêteté, c’est le sentiment des bonnes choses, l’aversion pour les mauvaises. Or, à quoi tient, je te le demande, que ce pauvre germe battu de tous les vents n’aille pas se perdre au loin, quand nous l’exposons si légèrement à l’orage ! Quand on songe à la facilité avec laquelle il s’envole, doit-on s’élever beaucoup dans sa propre opinion, pour avoir échappé au danger par miracle ? Quelle pâle fleur que cet honneur qui nous reste ! Quel est donc le séraphin qui l’a protégée de son aile, quel est le rayon qui l’a ranimée ? Le bon grain a beau tomber dans la bonne terre, si les oiseaux du ciel viennent s’y abattre, ils le mangent. Quelle est donc la main qui les détourne ? Dieu, un tremblement de terreur s’empare d’une âme touchée de tes bienfaits, quand elle regarde en arrière !

Mais toi, Paul, tu as pu réparer. Il n’a pas été trop tard pour toi, lorsque tu t’es arrêté ; tu es revenu au point de départ, et là, tu as trouvé une rude besogne, un noble travail, et tu l’as pris avec joie. Paul ! tu avais à combattre le passé et ses habitudes funestes, à supporter le présent et ses ennuis rongeurs ; tu es entré en lutte avec ces dragons, tu as les reins aussi forts que l’archange Michel, car tu les as vaincus. Moi qui suis vieux, et qui n’ai pas trouvé une mère à consoler et douze enfans à nourrir de mon travail, je pleure, je prie, et je m’écrie quelquefois : — Viens à moi, descends des cieux, pose-toi sur mon front abattu, colombe de l’esprit saint, poésie divine ! sentiment de l’éternelle beauté, amour de la nature toujours jeune et toujours féconde ! fusion du grand tout avec l’âme humaine qui se détache et s’abandonne ; joie triste et mystérieuse que Dieu envoie à ses enfans désespérés, tressaillement qui sembles les appeler à quelque chose d’inconnu et de sublime, désir de la mort, désir de la vie, éclair qui passes devant