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DE LA CRITIQUE FRANÇAISE.

l’Italie et l’Angleterre n’ont pas une collection comparable à celle des bénédictins de Saint-Maur. L’ignorant ! il avait sous la main tout ce qu’il fallait pour défrayer ses trente chapitres ; mais que voulez-vous ? aujourd’hui on ne lit rien. Nous autres érudits, on nous prend volontiers pour des bêtes curieuses ; on s’amuse de notre patience comme d’une manie ; on croit que nous aimons les livres comme la chasse ou les chevaux. Nous dévouons à la science notre vie tout entière, et en récompense on nous accuse d’égoïsme et de sauvagerie ; nous nous enfermons pour étudier, et l’on dit que nous fuyons le monde pour échapper à l’occasion d’obliger ! —

Une fois en train de s’applaudir et de se plaindre, le critique érudit ne tarit pas ; il trouve moyen, dans une heure, de vous nommer une centaine de traités qui, depuis dix ans, dorment dans sa bibliothèque, et dont il a retenu les titres. Je voudrais, ajoute-t-il avec complaisance, pouvoir vous montrer tout ce qu’il y avait d’original et de neuf dans la donnée dont nous parlons ; le clergé, la noblesse et le peuple en présence de la royauté ; l’évêque, le baron et le manant, quels contrastes ! et n’est-ce pas une coupable ingratitude d’avoir négligé comme une paille inutile les épis mûrs et dorés ? Le livre qui nous occupe n’est pas sans talent, il y a de l’élégance, du nombre, quelquefois même de la verve et de l’entraînement ; il y a de la pensée, de l’invention ; mais que tout cela est faux et incomplet ! L’auteur n’a jamais touché une armure du xiie siècle : il ne saurait pas dessiner un écusson. Le blason est pourtant une belle chose ! et quand ce ne serait que par plaisir, par pure distraction, les gens du monde eux-mêmes devraient le connaître. On oublie trop qu’une partie de l’histoire est enfouie dans le blason ; il y a des anecdotes perdues, qui n’ont pas trouvé place dans les chants populaires, que le blason a recueillies, mais qu’il garde pour les initiés. Ce que j’ai appris, en feuilletant les armoiries des nobles maisons de France, est incalculable, sur mon honneur. Si les poètes entendaient leurs intérêts, s’ils n’étaient pas aveuglés par l’orgueil, ils se mettraient au blason.

À quoi bon inventer ce qui est tout fait ? L’imagination, dans ses rêves, les plus hardis, n’atteint jamais aux cimes de la réalité. Inventer c’est ne pas savoir. Ce qu’ils dépensent de force et de persévérance dans ce labeur ingrat, ce qu’ils usent d’intelligence dans