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LES INDIENS DE LA PAMPA.

six bœufs, seuls moyens de transport connus dans la Pampa. Ces longs waggons sont souvent chargés des plus riches produits de France, d’Angleterre, d’Italie et d’Espagne ; ils sont recouverts de cuir, grossièrement construits, mais disposés de manière à se trouver en équilibre sur la tête des deux bœufs du timon ; les autres sont attelés à une distance de cinq à six pieds en avant de ceux-ci, afin d’agir avec plus de force, et surtout pour retirer le waggon des ruisseaux, souvent débordés au printemps, car il n’y a pas un seul pont sur une route de plus de deux cent cinquante lieues. Au-dessus de la charge, dans le fond du chariot, se tient un picador qui aiguillonne d’une main les trunqueros (bœufs du timon) au moyen d’un roseau de quinze à vingt pieds, suspendu par une corde ; et armé en outre d’un piqueron transversal qui s’abaisse à volonté sur le dos des bœufs du milieu, le conducteur peut, sans quitter sa place, diriger et animer la tête de l’attelage. Puis, à côté, viennent quelques voyageurs, suivant au pas de leurs mules la marche du convoi ; puis encore arrivent les bœufs de relais, et ceux qui sont destinés à nourrir toute la peonada. Ce troupeau est confié à la garde d’autres hommes à cheval, nommés conboyeros, qui, par la nuit la plus obscure (car les chariots s’arrêtent régulièrement de six heures en six heures), s’en vont lacer, avec une admirable adresse, ces animaux confondus entre eux, que l’Européen ne pourrait distinguer en plein jour. Cette famille voyageuse, en y comprenant le chef, capataz, galopant d’un waggon à l’autre, dirigeant, surveillant tout comme un général d’armée, cette famille, dis-je, se compose environ de trente individus ; et de plus, il y a souvent dans le fond du chariot une femme que le picador emmène avec lui pour charmer les ennuis de la route.

Les Indiens de l’avant-garde signalèrent donc ce beau convoi, qui serpentait gravement au milieu d’un nuage de poussière, cahotant et criant sur l’essieu. Ce n’était pas la première fois qu’ils auraient pillé une de ces flottes du désert ; dans la province de San Luis, bien des choses précieuses, dont ils ignorent l’usage et la valeur, étaient tombées entre leurs mains ; ils avaient défoncé, brûlé, brisé de magnifiques pianos, et les touches rendaient de lugubres accords sous la poignée de leurs sabres. Heureusement on les vit venir de loin. Si les chariots eussent été dételés, si c’eût