Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
REVUE DES DEUX MONDES.

apaisa ces murmures. Riche et considéré, le captif se hasarda à demander la fille du cacique, et l’obtint. Les parens de la fiancée se rangèrent autour du toldo, puis se mirent à défiler un à un devant le nouvel époux, recevant chacun un cadeau ; quand cet amas de richesses eut été également réparti, il y eut une grande joie dans l’assemblée ; on dansa, on célébra la libéralité du gaucho devenu membre de la tribu ; la jeune fille fut introduite solennellement, et cette bizarre cérémonie étant achevée, ils restèrent unis.

Sans avoir gardé un souvenir bien tendre de cette épouse, le peon s’étendait longuement sur l’affection qu’elle lui témoignait et les égards attentifs dont elle se plaisait à l’entourer. Dès-lors le captif ne fut plus surveillé ; mais sa compagne le surprenait souvent plongé dans de profondes réflexions : alors elle lui faisait faire le signe de la croix, l’obligeant à jurer par son Dieu de ne pas chercher à s’évader.

Une année se passa ainsi. Par une belle nuit d’hiver, les Indiens assemblés se concertaient sur une prochaine campagne ; le captif n’était point admis au conseil : il part furtivement armé de son coutelas, bride le meilleur cheval d’un des chefs occupés à la délibération, et saisissant une paire de fortes boules en pierre, il s’éloigne au pas, tournant le dos à sa croix du sud ; puis, le voilà qui se met à galoper à rienda suelta, jusqu’au jour. Alors le fugitif s’arrête pour laisser paître son cheval : son regard inquiet se porte sur tous les points de l’horizon ; mais la Pampa était muette et déserte. Il continue sa marche précipitée, éperonnant son coursier de la pointe d’un poignard, et à la nuit il fait halte encore, ayant soin de piquer son couteau en terre, la lame tournée vers le nord, pour ne pas perdre sa route avant le lever du soleil.

Pendant deux jours il erra ainsi ; l’homme et la bête mouraient de faim et de fatigue ; le morceau de viande sèche était fini ; l’herbe brûlée par les chaleurs de l’été n’avait pas encore reverdi. Tout à coup une poussière s’éleva au loin. Le fugitif étonné met pied à terre, fait coucher son cheval, regarde, et distingue un poncho rouge. — Quand bien même ce serait un Indien, se dit-il à lui-même, je combattrai. — Il tire son couteau, prépare ses boules, et s’élance vers l’étranger.

Ces deux hommes galopant ainsi l’un vers l’autre ne tardèrent