asiles sûrs, où ils s’en vont jouir paisiblement du fruit de leurs conquêtes. Rien ne les sépare du pays habité, ni lacs, ni rivières, ni montagnes : deux ou trois forts, garnis d’un petit nombre de soldats, sont tout-à-fait insuffisans pour garder une si vaste étendue de pays. Invisibles à qui veut les poursuivre, ces Indiens fondent à coup sûr et inopinément sur ces habitations, incapables de se défendre seules, trop disséminées pour se prêter un mutuel secours ; ils pénètrent dans l’intérieur des provinces jusqu’à ce que les troupes des villes, éveillées par les cris des fuyards, se mettent en marche pour les combattre : mais, aussi prompts dans la retraite que soudains dans l’attaque, les sauvages se replient sur le désert et disparaissent.
Ils vivent en tribus séparées, soumises chacune à un chef ou cacique, qui compte sous sa domination de trois cents à mille guerriers. Leurs tentes (toldos) sont faites de peaux de cheval cousues ensemble : chaque famille habite la sienne, et il y a peine de mort pour quiconque chercherait à s’introduire furtivement dans le toldo voisin. Le plus souvent les Indiens campent sur le bord d’un ruisseau ou d’un lac, autour duquel paissent en liberté leurs nombreux troupeaux, confiés à la garde des esclaves : ce sont de pauvres enfans enlevés dans les incursions, et traînés à la suite du vainqueur. Leur sort est triste ; quoique dans sa manière de vivre le gaucho diffère peu du sauvage, il ne s’accoutume guère à la servitude, et ne se console jamais de la perte de cette indépendance illimitée dont il sait si bien jouir. D’ailleurs, quand le captif est devenu grand, il y a toujours quelque moyen de s’en débarrasser : si on le voit parler à une femme de la tribu, s’il tente de s’évader surtout, il est mis à mort ; et on emploie pour l’éprouver des ruses infernales. Par exemple, on l’envoie porter un message simulé à la tribu voisine, on lui donne un de ces chevaux dont le galop devance celui du chevreuil ; l’esclave part ; déjà les toldos ont disparu à l’horizon ; le souvenir de sa cabane fait battre son cœur ; il a des vivres, un cheval qui ronge le frein : oh ! alors il se lance à toute bride vers le nord ; mais un bruit de chevaux retentit derrière lui : ce sont les Indiens ; ils le poursuivent avec d’horribles hurlemens, le percent à coups de lance, et l’abandonnent expirant aux gallinazos et aux vautours.