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entre M. Thiers et le maréchal duc de Dalmatie ; il faut que M. Guizot ferme les yeux à l’évidence pour ne point apercevoir cette révolution sourde qui se prépare contre lui dans le cabinet comme au sein de la majorité.

Au reste, autant la séance de lundi avait été terne et insignifiante, autant celle du lendemain a été remarquable. Il faut être juste envers tout le monde ; M. Janvier, en qui sont des espérances et du talent, n’a point répondu à l’attente publique ; il y a dans ses paroles une certaine préoccupation personnelle qui fatigue à la fin. C’est par le sentiment exagéré de son importance que M. Janvier peut se perdre ; nous dirons donc au jeune député que la chose publique n’a rien à faire de ce moi si souvent répété, qui ne peut convenir, encore avec modération, qu’à certaines réputations vieilles et constatées. M. Janvier va droit devant lui sans se souvenir assez qu’il parle à une assemblée de mille nuances qu’il faut également ménager ; un homme politique s’observerait, réfléchirait un peu mieux à sa phrase. S’il y a quelque chose qui s’use vite dans les assemblées, c’est l’ascendant qu’on veut se donner. Il arrive, cet ascendant, tout seul ; mais plus on veut l’imposer, plus il échappe ; c’est une puissance qu’il faut acquérir à petit bruit, parce qu’il faut éviter de froisser les amours-propres et les jalousies ameutées.

Nous reprocherons à M. Pagès de l’Ariège un luxe de formes oratoires, une réminiscence des types antiques, une imitation de la manière de M. Royer-Collart, cette solennité de paroles que l’Angleterre ne connaît pas dans son parlement, et qui rarement est nécessaire pour la solution d’une question politique. La phrase est usée ; plus ou moins éclatante, chacun la fait ; ce dramatique de mots, ces antithèses multipliées s’abîment sous la monotonie. Si M. Pagès veut réveiller le souvenir de M. Royer-Collart, il doit aussi imiter cet orateur dans ce silence grave que le vieux chef de la doctrine ne rompit jamais que dans les discussions solennelles, à de longs intervalles. Alors un discours est un événement ; mais dans une opposition journalière, vouloir étaler des pompes de style, c’est une dépense vaine. — Il y a en M. de Lamartine une grande intelligence des sympathies du pays ; le poète s’est montré dans quelques images saisissantes. M. de Lamartine sent avec la poésie de son ame ; nous sommes trop blasés dans les affaires, pour que ce sentiment de haute méditation et de douce humanité se fasse sentir surtout au sein d’une assemblée où tous les régimes trouvent également des apôtres et des représentans. Voilà ce qui explique les murmures de la chambre en entendant les nobles professions de foi de M. de Lamartine. L’ange de poésie à la tribune de la chambre des députés ne trouvait que des cœurs secs et des ames froidement attachées au positif des affaires.