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et Thiers, ayant péri par les divisions intérieures, doit avoir compris qu’il faut aujourd’hui serrer les rangs, et ne plus se laisser miner par les mêmes causes de destruction. De là résultent de plus grandes et de plus nombreuses concessions réciproques ; on s’est promis de vivre en paix, de ne plus troubler désormais l’harmonie du pouvoir constitutionnel, et pour cela on a fait des sacrifices incroyables. Qui aurait jamais pensé, par exemple, que M. Persil, le dénonciateur de ses collègues, M. Persil qui les avait flétris de toutes sortes d’épithètes injurieuses dans sa conférence du 8 novembre au soir avec M. Dupin, M. Persil, l’ennemi ardent des doctrinaires, l’homme si indigné de ce qui s’était passé au dîner des affaires étrangères, siégerait en face de l’amiral de Rigny, dont la rude franchise de mer s’était manifestée en refusant de presser la main du révélateur des secrets domestiques ? Tout cela vit momentanément en communauté ; la force des choses les y oblige ; tous savent qu’au premier craquement le cabinet se morcellerait. Je prends même la supposition la plus grave pour le ministère, l’avènement du maréchal Soult à la présidence. Ce serait, certes, une humiliation bien grande, de voir revenir à leur tête l’homme qu’ils ont supplié le roi de renvoyer, le collègue qu’ils ont chassé, pour nous servir de l’expression même du monarque ! Eh bien ! on le subirait encore ; on ne rougirait pas de presser ces mains dures et calleuses, qui menacèrent la large figure allemande d’un des membres du conseil.

Toutefois, dans ce cabinet si résigné, chacun conserve ses ressentimens particuliers et ses affections de personnes. Jusqu’ici le conseil se divise en majorité et minorité ; le maréchal Mortier et M. Persil ont plus de sympathies pour M. Thiers ; MM. de Rigny, Humann et Duchâtel, pour M. Guizot. On cherche à effacer le plus possible les anciennes démarcations, et elles se représentent dans toutes les questions importantes de personnes ou de choses ; les ministres s’efforcent de les atténuer aux yeux du roi, afin de faire croire à une parfaite union politique ; mais en ce monde on ne renonce pas à soi de telle sorte que les antipathies personnelles n’éclatent à chaque instant. Prenez une difficulté de cabinet (et il en surgit plus d’une dans la durée des pouvoirs) ; maintenant jetez-la au milieu de ces hommes qui se disent si unis, et vous les verrez tous s’agiter, recommencer leurs intrigues individuelles, leur commérage de personnes : vous verrez encore M. Persil dénoncer ses collègues ; M. Thiers trahir sous main M. Guizot pour M. Molé ; M. Guizot imposer sa coterie aux affaires au détriment de la réputation et de l’honneur de M. Thiers. Tout cela s’est fait, tout cela se fera encore. Déjà le ministère a vu dans le conseil des dissidences accidentelles naître et se