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REVUE. — CHRONIQUE.

flatte les esprits poltrons ; ne résiste pas qui veut : résister suppose une force ; on se drape à l’antique ; qu’il est beau de s’entendre dire dans les centres : nous résistons ! combien cette position fortement colorée plaît aux ames faibles et tremblantes ! c’est du rouge jeté sur des faces pâles et livides. M. Thiers a compris les bancs ministériels ; il a donné une conscience à des opinions intéressées, un prétexte honorable à des votes complaisans, une mission sociale à des fonctionnaires passifs et muets.

Le voilà donc ce parti qui résiste ; et à quoi, je vous le demande ? À la révolution qui est le principe même du gouvernement ; au progrès qui est dans sa destinée ; au mouvement naturel des opinions, à cette effervescence généreuse des esprits que le système représentatif favorise ! Vous résistez ! et à quoi ? Aux passions mauvaises, selon l’expression de M. Guizot ! Mais ce mot est bien vague ; les centres vont l’interpréter à leur guise ; empêcher l’amoindrissement d’un budget, c’est une résistance ; on est bien venu à bout de réprimer l’émeute des rues, pourquoi ne comprimerait-on pas l’émeute des économies ? Puis arrêter la presse, toutes les améliorations sociales que le pacte fondamental faisait espérer et que le pays désire, n’est-ce pas de la résistance encore ?

Jusqu’ici les têtes politiques bien organisées croyaient que la condition naturelle de la société, c’était le progrès ; que dans ce monde la destinée de l’humanité pensante était ce marche en avant de l’esprit, haute vocation de l’avenir auquel les peuples sont appelés. Point du tout ; les facultés intellectuelles, la puissance de la parole, la force des gouvernemens, doivent se réunir pour résister. Voulez-vous bien mériter du pays ? résistez donc, M. Thiers vous l’a dit ; posez-vous à la manière de M. Viennet et de M. Salvandy ; offrez-vous comme des martyrs aux fureurs populaires, prêt à donner votre tête à qui ne la demande point ; ôtez la faux au temps, arrêtez le mouvement des générations, les feux de la civilisation et de la vie, et alors vous serez digne de ce système proclamé comme le plus noble fruit de la révolution de juillet !

Mais en tout ceci il y a au moins un résultat obtenu, c’est que le ministère et la majorité qui s’y est si bien associée, ont pris couleur, se sont rangés autour d’une devise. Il vaut mieux une formule mauvaise que l’absence ou l’incertitude de toute formule ; un système, c’est quelque chose lorsqu’on peut l’analyser dans la naïveté de son expression intime ; nous savons ce que l’on veut et où l’on va : l’examen sera plus facile.

LE MINISTÈRE.

Il n’y a point de crise ministérielle encore ; mais il y a dans l’atmosphère du cabinet je ne sais quel nuage noir et lointain qui pourrait bien