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hommes avaient fait place aux hommes du peuple, commandés par Wüllenweber. Ils furent réduits à aller mendier la colère de l’empereur, qui ordonna inutilement le rétablissement de l’ancien ordre de choses à Lübeck. La riche et orgueilleuse cité se moqua des menaces de Charles-Quint, et son exemple profita aux autres villes anséatiques.

Dès ce moment, la fortune de Wüllenweber ne cessa de croître, et il ne cessa de travailler au bonheur et à la gloire de sa ville natale. Dictateur ou plénipotentiaire, il eut toujours présent à l’esprit l’intérêt de la patrie, et poursuivit le gigantesque projet de former dans le nord une ligue d’états libres dont la puissante Lübeck eût été le chef. Peut-être, si les circonstances n’eussent point été infidèles à ses prévisions, verrions-nous aujourd’hui une république à la place de la Prusse qui a dévoré plusieurs petites républiques anséatiques, et Napoléon eût-il trouvé tout affaiblie la puissance impériale de l’Autriche que cette confédération devait contrebalancer.

À cette époque du moins, si Lübeck ne donnait pas précisément de couronnes, elle aidait à les prendre, et celles de Danemarck et de Suède ne furent véritablement conquises que par le secours des soldats et des marins payés par elle. Gustave Erikson, fugitif, avait trouvé à Lübeck la plus noble hospitalité au temps de la persécution, et des flottes et de l’argent pour s’ouvrir le chemin de Stockholm. Frédéric Ier ne fut certain de son affermissement sur le trône de Copenhague, que lorsque les vaisseaux de Lübeck lui eurent renvoyé de la Norwége son compétiteur Christiern ii, qu’il put, au mépris des capitulations, enfermer dans la prison de Sonderbourg. Les deux rois ne se souvinrent des services de la république marchande que le temps nécessaire pour n’en plus avoir besoin. Au moment du danger, Frédéric avait promis aux Lübeckois de fermer le passage du Sund aux Hollandais, leurs rivaux de commerce, qui avaient fourni des secours à Christiern ; mais à peine les fenêtres de la prison avaient-elles été murées sur celui-ci que déjà Frédéric manquait de parole à ses alliés, à ses bienfaiteurs. Il fit en effet un traité de commerce avec les Pays-Bas, leur rendit les vaisseaux capturés par les Lübeckois, et ne répondit aux représentations de ces derniers que par des reproches.

Il mourut bientôt après. La noblesse et le clergé de Danemarck ne purent s’accorder sur le choix de son successeur, parce que les évêques voulaient écarter du trône son fils aîné Christian, imbu des doctrines luthériennes. Les deux ordres convinrent donc de remettre à quinze mois plus tard l’élection du roi, et s’entendirent d’autant plus facilement, que chacun gagnait le temps nécessaire pour organiser ses intrigues, et trouvait