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Dante.

appelée Gentucca, dont il parle à plusieurs reprises dans la Divine Comédie, et qui fit sur son imagination une impression profonde, que Dante se reprocha comme une offense envers la mémoire de Béatrix.

Ce fut peut-être aussi durant son séjour à Lucques, que le poète eut une dernière chance de rentrer à Florence, et la rejeta par des motifs qui sont, pour nous, le plus beau trait de son caractère.

Tantôt par politique, tantôt par religion et humanité, le gouvernement florentin s’adoucissait de temps à autre pour ses exilés, et consentait à en rappeler quelques-uns. Il vendait parfois cette grâce pour de l’argent ; mais ce qu’il y avait de plus remarquable dans cet acte d’indulgence politique, c’était son caractère religieux. L’autorité publique qui faisait grâce à des condamnés, qui délivrait des prisonniers sur la liberté desquels elle se croyait des droits, ne relâchait point immédiatement les uns ni les autres ; elle ne les absolvait point directement, ni en son propre nom. Elle les offrait à la Vierge, ou à quelqu’un des saints, et c’était la Vierge ou ce saint qui était censé les absoudre du mal qu’ils avaient commis, et les affranchir de la punition qu’ils avaient encourue. Cette manière de faire grâce n’avait été, dans l’origine, usitée que vis-à-vis des criminels ; aussi pour cela était-elle réputée infamante, bien que son application fréquente à des cas purement politiques eût fort adouci la rigueur de l’opinion à cet égard.

Il arriva donc, dans le courant de l’année 1315, peut-être à propos de la célébration de la fête de saint Jean-Baptiste, la grande fête des Florentins, qu’il fut question à Florence de rappeler un certain nombre d’exilés, moyennant une contribution en argent, et surtout moyennant la cérémonie religieuse de l’offrande. Plusieurs amis de Dante, s’étant entremis pour le faire comprendre dans le nombre des individus rappelés, y réussirent, et lui écrivirent aussitôt pour lui faire part de cette nouvelle : c’était, dans leur pensée, la plus heureuse qu’ils pussent lui annoncer.

Entre diverses lettres qui lui furent adressées à ce sujet, il y en eut une d’un parent, personnage inconnu, mais selon toute apparence, religieux ou prêtre. La réponse de Dante à cette lettre a été récemment découverte et publiée en latin. Elle est courte ; si longue d’ailleurs qu’elle pût être, il n’en faudrait pas moins la citer en entier. Les occasions d’admirer le génie de Dante ne nous manqueront pas : c’est de son âme qu’il s’agit ici. Or, personne, sans l’écrit en question, ne saurait combien elle fut haute, forte, et supérieure au malheur. Voici donc la traduction de cette lettre qui, pour le dire en passant, est en fort mauvais latin, et ne peut rien perdre à être traduite.