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Dante.

devenir odieux. Aux magistratures populaires, au régime partout respecté des podestats, il avait substitué celui de petits tyrans plus ou moins détestés, auxquels il avait vendu le plus cher possible le titre de ses vicaires. L’argent qu’il avait tiré de ce trafic honteux de la dignité impériale, ne suffisant pas à ses besoins, il en avait extorqué des villes ennemies, et mendié des villes amies. Le marquis de Montferrat avait acheté de lui l’autorisation de battre de la fausse monnaie. Il s’était déshonoré à la guerre par des actes gratuits de brigandage et de férocité. En Toscane, il avait tout brûlé, tout pillé, tout dévasté, les portions soumises du pays, comme les autres. Au siége de Brescia, ayant fait prisonnier Tedaldo Brusclati, le chef des assiégés, il avait ordonné de l’écarteler, et fait lancer par des machines de guerre les quartiers du cadavre dans la ville. En un mot, sa conduite politique était devenue de jour en jour moins sensée et moins humaine. En arrivant en Italie, il s’était donné l’air d’un prince résolu à pacifier toutes les factions et à n’être d’aucune. Bientôt après il s’était fait Gibelin passionné, et avait fini par n’être plus qu’un despote capricieux, aliénant à l’empire les villes jusque-là les plus prononcées pour lui, comme Pise. Quant aux villes guelfes, sa mort avait été, pour elles, un sujet de fêtes. À Padoue, tout le monde se fit faire des vêtemens neufs en signe d’allégresse.

Dante ne vit pas les choses sous cet aspect : il ne changea ni d’opinion ni de sentimens, et l’on a de lui une canzone, mal à propos attribuée à Cino da Pistoia, dans laquelle il déplore la mort de Henri vii, comme une grande calamité pour l’Italie, et persiste à donner ce prince pour un modèle de perfection, de sagesse et de grandeur humaines. S’il n’avait pas réussi dans ses grands projets, c’étaient le crime et la faute de l’Italie.

Comme il n’y a pas lieu d’attacher beaucoup d’importance à une épître latine que Dante adressa le 20 avril 1314 aux cardinaux, pour les exhorter à nommer un pape italien à la place de Clément v qui venait de mourir, on peut regarder la mort de Henri vii comme le terme de la vie publique de notre poète. Postérieurement à cette époque, aucun trait de sa vie ne se rattache plus à des évènemens d’un intérêt national ; son nom ne figure plus dans aucun monument public. On ne sait plus où le chercher. Il erre de tous côtés, en Italie, en France, et jusqu’en Angleterre, disent certains biographes, sans que l’on puisse mettre de date fixe à aucune de ces courses, ni à aucune des particularités qui s’y rattachent. Toutefois, plusieurs de ces particularités doivent être tenues pour certaines, et ne sont pas sans intérêt. J’en rapporterai donc quelques-unes, malgré l’incertitude de leurs dates.

Boccace raconte que Dante, aussitôt après la mort de Henri vii,