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fait que se rendre justice à lui-même quand il dit : — « Tout le monde court à moi, comme si j’étais trésorier du roi. Qu’une pauvre fille accouche, je paie la sage-femme ; qu’un gentilhomme débauché soit jeté en prison, c’est mon argent qui le rachette ; soldats ruinés, gendarmes cassés aux gages, débiteurs insolvables, voyageurs embarrassés, tous ont recours à mes largesses. Ma maison est un hôpital pour toutes les maladies ; mon médecin est le médecin de la ville entière. Voici bientôt dix-huit années que j’ai ouvert une hôtellerie gratuite à tous les chevaliers errans[1]. »


Cherchez dans son recueil épistolaire la liste presque innombrable et qui fatiguerait assurément le lecteur, des présens qu’il reçut, non-seulement des princes d’Europe, mais du corsaire Barberousse et du sultan Soliman. Don Lopez di Soria lui passa au cou une chaîne d’or au nom de l’impératrice. Charles-Quint, à son retour d’Afrique, lui en fit remettre une autre qui valait cent écus. « Voilà, s’écria-t-il, un petit cadeau pour une si grande folie. » Le roi François Ier se montra plus spirituel que ses confrères ; en satisfaisant l’avidité du brigand littéraire, il trouva moyen de se moquer de lui. Il fit fabriquer une belle chaîne d’or, toute composée de langues enchaînées, et vermeilles à la pointe comme si elles eussent été trempées dans le venin ou dans le sang. Collier bizarre, qu’il envoya à l’Arétin, avec cet exergue significatif : lingua ejus loquetur mendacium. « Sa langue dira le mensonge. » L’Arétin répondit à cette heureuse épigramme dorée, par une lettre de remerciemens.


De cette vie, symbole de l’Italie perdue, il nous reste bien peu de chose à raconter. Nous avons saisi au passage tous les traits qui la caractérisent et qui la burinent. On est entré dans les goûts et dans les pensées de l’Arétin ; on est devenu l’hôte de son ame ; on a su ce qui lui restait de conscience et de passion, et ce côté moins impur de sa pensée qui lui faisait trouver du charme dans la contemplation de l’art, dans l’amitié de l’artiste, et cette autre rédemption de ses lubricités, qui le punissait d’avoir enseigné le vice et

  1. Tom. ii, p. 257.