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avait sous les yeux, en écrivant sa Vie de Dante, qui n’en est malheureusement qu’un résumé beaucoup trop vague et trop incomplet.

Dans une situation où il était principalement stimulé à écrire par le désir de se montrer érudit, et par le besoin de justifier sa conduite, Dante était inévitablement exposé à négliger un peu la poésie ; mais il n’était pas en son pouvoir de l’abandonner. Il y revenait de lui-même et d’élan, toutes les fois qu’il voulait dire quelque chose de ce qu’il y avait en lui de plus intime et de plus vrai. Plusieurs de ses plus belles pièces lyriques appartiennent à cette époque de sa vie.

Le sentiment général qui domine dans tout ce qu’il composa à cette même époque, répond parfaitement à l’espérance qu’il avait de s’en faire un titre pour toucher ses compatriotes et obtenir son rappel. Tout ce qui s’y rapporte aux dispositions de son ame, annonce le dégoût de la vie de faction, le regret des douces habitudes du foyer domestique et le besoin d’y revenir. L’amour passionné de la terre natale s’y fait sentir à chaque instant, et tout y respire la bienveillance, la tendresse et la sympathie.

Voici, par exemple, une courte phrase latine citée comme exemple d’une construction élégante, dans le traité De vulgari Eloquentiâ : — « J’ai pitié de tous les malheureux ; mais je réserve ma plus grande pitié pour ceux qui, se consumant dans l’exil, ne revoient leur patrie qu’en songe. » — Dante ne dit pas d’où il a pris cette phrase touchante, mais je ne doute nullement qu’elle ne lui appartienne, soit qu’il l’ait composée isolément, pour la citer ici, soit plutôt qu’il l’ait tirée de quelqu’un de ses opuscules latins aujourd’hui perdus.

Je citerai maintenant un passage du Convito, qui n’a point le genre d’élégance du trait précédent, mais plus touchant et plus explicite encore, comme indice des sentimens dont Dante était animé à l’époque dont il s’agit. Après avoir cherché à excuser les défauts qu’il prévoit que l’on pourra blâmer dans son travail, il s’exprime en ces termes :

« Ah ! que ne plaisait-il au maître de l’univers que les motifs de mon excuse n’existassent pas ! Personne alors n’aurait failli envers moi, et je n’aurais point eu d’injuste punition à subir ; je n’aurais point enduré (comme j’ai fait) l’exil et la pauvreté, Florence, cette belle et fameuse fille de Rome, ayant cru devoir me rejeter de son doux sein, où j’avais été élevé et nourri jusqu’à la moitié du cours de ma vie, et dans lequel je désire de tout mon cœur terminer, s’il lui plaît, le temps qui m’est donné à vivre, et me reposer, fatigué d’avoir erré en pélerin et presque mendié à travers toutes les provinces auxquelles s’étend cet idiome. »

Celles de ses poésies que Dante écrivit dans le même intervalle et dans les mêmes circonstances que le Convito, respirent toutes les mêmes