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Cependant, après une minute d’hésitation, il se dressa sur ses pattes de derrière, et essaya de saisir le condamné avec celles de devant. L’épée flamboya comme un éclair, et abattit une des pattes du monstre. Le dragon jeta un cri, et se soulevant à l’aide de ses ailes, tourna autour de son antagoniste, et le couvrit d’une rosée de sang. Tout à coup il se laissa tomber comme pour l’écraser sous son poids, mais à peine fut-il à la portée de la terrible épée, qu’elle décrivit un nouveau cercle et lui trancha encore une aile.

L’animal mutilé tomba à terre, se traînant sur trois pattes, saignant de ses deux blessures, tordant sa queue et mugissant comme un taureau mal tué par la masse du boucher. De grands cris de joie répondaient de toutes les parties de la montagne à ces mugissemens d’agonie.

Le serrurier s’avança bravement sur le dragon, dont la tête à fleur de terre suivait tous ses mouvemens, comme l’aurait fait un serpent ; seulement, à mesure qu’il s’approchait de lui, le monstre retirait sa tête, qui se trouva enfin presque cachée sous son corps gigantesque. Tout à coup, et quand il crut son ennemi à sa portée, il déploya cette tête terrible, dont les yeux semblaient lancer du feu, et dont les dents allèrent se briser contre la bonne armure du serrurier. Cependant la violence du coup renversa celui-ci. Au même instant le dragon fut sur lui.

Alors ce ne fut plus qu’une horrible lutte, dans laquelle les cris et les mugissemens se confondaient ; on voyait bien de temps en temps l’aile battre, ou l’épée se lever ; on reconnaissait bien, dans certains momens, l’armure brunie du serrurier, tranchant sur les écailles luisantes du dragon ; mais comme l’homme ne pouvait se remettre sur ses pieds, comme la bête ne pouvait reprendre son vol, les combattans n’étaient jamais assez isolés l’un de l’autre pour que l’on pût distinguer lequel était le vainqueur ou le vaincu.

Cette lutte dura un quart d’heure, qui parut un siècle aux assistans. Tout à coup un grand cri s’éleva du lieu du combat, si étrange et si terrible, qu’on ne sut s’il appartenait à l’homme ou au monstre. La masse qui se mouvait s’abaissa comme une vague, trembla un instant encore, puis enfin resta immobile. Le dragon dévorait-il l’homme ? l’homme avait-il tué le dragon ?