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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

— Oui, et un beau jour il finira par se tuer.

— Lui ! ouiche ! en descendant l’escalier de sa cave, peut-être, mais ici jamais. Est-ce qu’il n’y a pas un dieu pour les ivrognes ?

— Mon cher ami, il paraît que je ne suis point en état de grace devant ce dieu, car la tête commence à me tourner.

— Alors descendez vite, et n’allez pas faire comme M. B…

— Qu’est-ce que M. B… ? dis-je lorsque j’eus regagné la terre ferme.

— Ah ! M. B… ? venez par ici, je vais vous conter cela. — Nous nous remîmes en route. — M. B…, voyez-vous, continua Willer, c’était un agent de change.

— Oui, dis-je. — Un souvenir vague me traversait l’esprit.

— Et il s’était ruiné et il avait ruiné sa femme et ses enfans, en jouant sur les fonds publics ; vous devez savoir ce que c’est, vous qui êtes de Paris.

— Très bien.

— Voilà donc qu’il s’était ruiné. Bon. Qu’est-ce qu’il fait : il assure sa vie. Comprenez-vous, sa vie ? c’est-à-dire que, s’il mourait, il héritait de cinq cent mille francs. Je ne conçois pas trop ça, moi ; c’est un embrouillamini du diable, mais c’est égal, vous le concevrez peut-être, vous.

— Parfaitement.

— Tant mieux. Voilà donc qu’il vient en Suisse avec une société. Une dame dit en déjeunant : Allons voir les Échelles. — Ah ! oui, dit M. B…, allons voir les Échelles,

Après le déjeuner on monte à mulet, c’est bon ; on prend un guide. M. B…, qui avait son idée, dit : Moi, je veux aller à pied.

— Il va à pied.

Arrivé ici, tenez, voyez-vous, ici, sur cette petite pente qui n’a l’air de rien… N’allez pas si au bord, c’est glissant, et il y a cinq cents pieds de profondeur là-dessous. — Où en étais-je ?

— Arrivé ici…

— Oui. Arrivé ici, voilà donc qu’il laisse aller la société en avant, qu’il s’assied, et qu’il dit à son guide : Va me chercher une grosse pierre, entends-tu ? une grosse. — Bon. L’autre y va, il ne se doutait de rien. Au bout de cinq minutes, il revient avec un moellon ;