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SONNETS DE SHAKSPEARE.

Quant aux vingt-six derniers sonnets, sur lequel nombre quatre sont sans application déterminée, nous sommes tous d’accord ; ils sont incontestablement adressés à une femme. M. Drake en trouve une preuve de plus dans la forme même du sonnet qui les précède, et qui n’est plus, comme les autres, en rimes croisées ; mais l’argument est subtil : je ne suis pas bien convaincu que Shakspeare ait adopté un mode différent de versification pour ce sonnet, dans l’intention de le placer comme un mur de clôture entre deux propriétés, et je crois que le commentateur aurait abandonné cette idée, s’il s’était souvenu que le cent quarante-cinquième offre aussi un exemple d’un changement, sinon de rimes, au moins de mesure. C’était d’ailleurs un soin superflu ; pas une réclamation ne s’élevait à l’encontre ; pourquoi ne pas se hâter de sortir de cette voie obscure et pénible, et arriver enfin où nous pourrons ralentir le pas et jouir, à la clarté du jour, de toute la beauté d’une route, trop courte il est vrai, mais facile et fleurie ? Sans doute, on peut trouver à redire au sujet même de ces poésies : Shakspeare est marié, il est père de famille ; mais où est sa femme ? vivent-ils ensemble ? pourquoi même ne serait-ce pas à elle que s’adressent ces vers ? et quand ce serait quelque actrice peut-être qui aurait entouré de ses séductions la vertu de notre poète, M. Drake, me disais-je, qui révère Shakspeare au point d’avoir entrepris d’expliquer les étranges sonnets qui forment la première et la plus grande partie du recueil, chez qui tout annonce d’ailleurs un caractère tolérant et plein d’indulgence, saura bien justifier ce grand homme tout en ménageant la morale. Une femme, telle noire qu’elle soit, doit toujours être moins embarrassante, pour le commentateur, que le respectable blondin tant et si ingénieusement justifié plus haut. Mais point du tout, l’avocat a épuisé toute son éloquence, toutes ses ruses, dans sa première cause ; peu s’en faut qu’il ne déserte entièrement celle-ci, et que même il ne se tourne contre son client. « En vérité, dit-il, nous voudrions que ces derniers sonnets n’eussent jamais été publiés, ou qu’on put prouver que celle qui en est le sujet n’a point existé, que ce n’est qu’une pure fiction. Nous sommes d’autant plus disposé à les considérer sous ce point de vue, que cette faute serait une tache unique dans la vie de Shakspeare. Il est d’ailleurs fort improbable qu’aucun poète (c’est