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bien ce qui a induit notre savant en erreur. C’est l’envie de justifier le style passionné du poète par des affections de famille ; mais illusion pour illusion, autant valait ne pas soulever cette question de sexe.

Laissons de côté Tyrwhitt, qui, fondant sa conjecture sur un vers du vingtième sonnet,


A man in hew all Hews in his controlling,


conclut de ce que, dans la vieille édition, la première lettre de ce mot Hews est écrite en capitale, que les deux initiales W. H. veulent dire William Hughes, attendu que la prononciation des deux mots est la même. Mais cette supposition, qui n’a d’autre base que cette lettre capitale, est d’autant moins admissible que l’on trouve plus d’un exemple de l’emploi des capitales dans une intention purement emphatique.

Quant à Steevens, qui, en 1766, n’avait joint à la réimpression des sonnets de Shakspeare aucune observation sur leur origine, il se hasarde, dans le supplément de Malone, à déclarer purement et simplement, par une note du vingtième sonnet, que sa conviction est que ce sonnet est adressé « to a male object. »

Enfin Malone, dans le même supplément, ajoute que, quel que soit l’homme à qui Shakspeare ait écrit ces sonnets, il y en a cent vingt qui lui sont adressés ; que les vingt-huit autres le sont à une femme.

On commençait à être d’accord sur le sexe ; mais voici venir, en 1797, George Chalmers qui, dans son « apologie en faveur des croyans aux papiers de Shakspeare, » essaie de remettre tout en question, en prétendant que ces sonnets sont adressés par Shakspeare, à qui ? à la reine Élisabeth ! Le male object, incontestable dans maint passage, ne le déconcerte nullement : c’est, selon lui, qu’Élisabeth étant reine, on s’adressait à elle, comme monarque, dans un langage strictement applicable au sexe masculin ; mais cette métamorphose, qui peut être admise dans le style politique, comment la supposer lorsqu’il s’agit de sonnets amoureux, sans parler de mille détails qui font trébucher à chaque pas cette ingénieuse et très fausse interprétation ? Passe pour vierge, mais homme !