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peuvent être fauchées à plaisir par la révolution ; mais la philosophie n’aurait jamais pu employer les têtes que la révolution aurait tranchées auparavant. Pourtant n’ayez, mes chers compatriotes, aucune inquiétude, la révolution allemande ne sera ni plus débonnaire ni plus douce, parce que la critique de Kant, l’idéalisme, transcendantal de Fichte et la philosophie de la nature l’auront précédée. Ces doctrines ont développé des forces révolutionnaires qui n’attendent que le moment pour faire explosion, et remplir le monde d’effroi et d’admiration. Alors apparaîtront des kantistes qui ne voudront pas plus entendre parler de piété dans le monde des faits que dans celui des idées, et bouleverseront sans miséricorde, avec la hache et le glaive, le sol de notre vie européenne pour en extirper les dernières racines du passé. Viendront sur la même scène des fichtéens armés, dont le fanatisme de volonté ne pourra être maîtrisé ni par la crainte ni par l’intérêt ; car ils vivent dans l’esprit et méprisent la matière, pareils aux premiers chrétiens qu’on ne put dompter ni par les supplices corporels ni par les jouissances terrestres. Oui, de tels idéalistes transcendantaux, dans un bouleversement social, seraient encore plus inflexibles que les premiers chrétiens ; car ceux-ci enduraient le martyre pour arriver à la béatitude céleste, tandis que l’idéaliste transcendantal regarde le martyre même comme pure apparence, et se tient inaccessible dans la forteresse de sa pensée. Mais les plus effrayans de tous seraient les philosophes de la nature, qui interviendraient par l’action dans une révolution allemande, et s’identifieraient eux-mêmes avec l’œuvre de destruction ; car si la main du kantiste frappe fort et à coup sûr, parce que son cœur n’est ému par aucun respect traditionnel ; si le fichtéen méprise hardiment tous les dangers, parce qu’ils n’existent point pour lui dans la réalité, le philosophe de la nature sera terrible en ce qu’il se met en communication avec les pouvoirs originels de la terre, qu’il conjure les forces cachées de la tradition, et peut évoquer celles de tout le panthéisme germanique. Alors s’éveille en lui cette ardeur de combat que nous trouvons chez les anciens Allemands, et qui veut combattre, non pour détruire, ni même pour vaincre, mais seulement pour combattre. Le christianisme a adouci jusqu’à un certain point cette brutale ardeur batailleuse des Germains ; mais il n’a pu la