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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

M. Schelling, mais bien en quelque sorte aussi Kant et Fichte qu’on peut accuser de défection. Fichte est mort encore assez à temps pour que sa déviation de sa propre philosophie ne fût pas trop éclatante ; et Kant a été infidèle à la Critique de la raison pure, quand il a écrit la Critique de la raison pratique. L’initiateur meurt… ou devient apostat.

Je ne sais comment il se fait que ces dernières lignes agissent d’une manière si mélancolique, si amollissante, sur mon âme, que je ne me sens plus en ce moment la force de consigner ici les autres vérités qui regardent le M. Schelling actuel. Louons donc plutôt le Schelling d’autrefois, dont la mémoire rayonnera éternellement dans les annales de la pensée allemande ; car le Schelling d’autrefois représente, tout comme Kant et Fichte, une des grandes phases de notre révolution philosophique que j’ai comparée dans ces pages avec les phases de la révolution politique de France. Dans le fait, quand on voit dans Kant la convention terroriste, dans Fichte l’empire napoléonien, on trouve dans M. Schelling cette réaction qui suivit l’empire. Mais ce fut d’abord une restauration dans un meilleur sens. M. Schelling rétablit la nature dans ses droits légitimes, il voulut une réconciliation entre l’esprit et la nature, il chercha à les réunir tous deux dans l’éternelle âme du monde. Il restaura cette grande philosophie de la nature que nous trouvons déjà chez les anciens philosophes grecs, avant Socrate. Il restaura cette grande philosophie de la nature qui, germant sourdement de la vieille religion panthéiste des Allemands, annonça, dès le temps de Paracelse, les fleurs les plus belles, mais fut étouffée par l’introduction du cartésianisme. Hélas ! et à la fin il restaura des choses par lesquelles il peut encore être comparé dans le plus mauvais sens à la restauration française. Mais la raison publique ne le souffrit pas plus long-temps ; il fut honteusement renversé du trône de la pensée ; Hegel, son major domus, lui enleva sa couronne et le rasa ; et depuis ce temps, Schelling déposé a vécu comme un pauvre frère lai, au milieu des prêtraillons de Munich, ville qui conserve dans son nom allemand son béat caractère, et s’appelle en latin Monacho monachorum. C’est là que je l’ai vu errer comme un fantôme avec ses grands yeux pâles et son visage abattu et amorti, image douloureuse d’une royauté déchue. Pour Hegel, il se fit