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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

sible, et qu’elle n’est même possible qu’à cette conclusion ! La doctrine de la science, dit-il, ne connaît d’autre mode d’exister qu’un mode sensible ; et comme on ne peut attribuer l’être qu’aux objets de l’expérience, ce titre ne peut convenir à Dieu. Donc le Dieu de Fichte n’a aucune existence, il n’est pas, il ne se manifeste que comme une pure action, comme un ordre des évènemens, ordo ordinans, comme la loi de l’univers.

C’est ainsi que l’idéalisme a filtré la divinité par toutes les abstractions possibles, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus rien. Désormais, chez vous à la place d’un roi, chez nous à la place d’un Dieu, c’est la loi seule qui régnera.

Quel est le plus insensé, d’une loi athée, d’une loi qui n’a pas de Dieu, ou d’un Dieu-loi, Dieu qui n’est rien de plus qu’une loi ?

L’idéalisme de Fichte est une des erreurs les plus colossales que l’esprit humain ait jamais couvées. Il est plus athée et plus réprouvable que le matérialisme le plus massif. Ce qu’on nomme en France l’athéisme des matérialistes serait, comme je pourrais le démontrer facilement, encore quelque chose d’édifiant, une croyance pieuse, comparé aux conséquences de l’idéalisme transcendantal de Fichte. Ce que je sais bien au moins, c’est que ces deux doctrines me sont antipathiques. Elles sont anti-poétiques aussi. Les matérialistes français ont fait des vers aussi mauvais que ceux des idéalistes transcendantaux de l’Allemagne. Mais la doctrine de Fichte n’était pas dangereuse dans la politique du moment, et elle méritait encore moins d’être poursuivie comme telle. Pour être capable de s’égarer avec cette hérésie, il fallait être doué d’une perspicacité spéculative comme on la rencontre chez peu d’hommes. La grande masse, avec ses milliers de têtes épaisses, était inaccessible à cette ingénieuse erreur. Les idées de Fichte sur Dieu auraient dû être contredites par la voie rationnelle, et non par voie de police. Être accusé d’athéisme en philosophie était quelque chose de si étrange en Allemagne, que Fichte ne sut réellement pas d’abord ce qu’on lui voulait. Il répondit très justement que la question de savoir si une philosophie était athée sonnait aussi singulièrement à l’oreille d’un philosophe, que pour un mathématicien celle de savoir si un triangle était vert ou rouge.

Cette accusation avait donc ses raisons secrètes que Fichte com-