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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

Je reviendrai plus tard sur ce sujet. Il me suffit de dire ici que, dès le temps de Fichte, le panthéisme pénétrait dans l’art allemand, que même les romantiques catholiques suivaient à leur insu cette tendance, et que Goëthe l’exprima de la manière la plus prononcée. C’est ce qu’on voit déjà dans son Werther, où il aspire à s’identifier amoureusement avec la nature. Dans Faust, il cherche à établir avec elle des rapports par une voie plus mystique et audacieusement immédiate. Il conjure les forces secrètes de la terre par les formules du Hœllenzwang, livre de magie qu’on m’a montré un jour dans une vieille bibliothèque de couvent, où il était enchaîné ; le titre représente le roi du feu, aux lèvres duquel pend un cadenas, et sur sa tête est perché l’oiseau Pic, tenant dans son bec la baguette divinatoire. Mais c’est dans ses chansons que ce panthéisme de Goëthe perce de la façon la plus pure et la plus aimable. La doctrine de Spinosa est sortie de la chrysalide mathématique, et voltige autour de nous sous la forme d’une chanson de Goëthe. De là la fureur des orthodoxes et des piétistes contre cette chanson. Ils essaient de saisir avec leurs pieuses pattes d’ours ce papillon qui leur échappe sans cesse ; car rien n’est si légèrement ailé, si éthéré qu’une chanson de Goëthe. Les Français n’en peuvent avoir aucune idée s’ils ne connaissent pas la langue. Ces chansons ont un charme inexprimable ; le rhythme harmonieux du vers vous enlace comme les bras d’une maîtresse bien-aimée ; le mot vous caresse, tandis que la pensée presse ses lèvres sur votre ame.

Nous ne voyons donc, dans la conduite de Goëthe à l’égard de Fichte, aucun des motifs haineux que beaucoup de contemporains y relevèrent avec un langage bien plus haineux encore. Ils n’avaient pas compris la différence qui séparait la nature de ces deux hommes. Les plus modérés interprétèrent mal le calme de Goëthe, quand plus tard Fichte fut vivement inquiété et persécuté. Ils ne surent pas apprécier la situation du premier. Ce géant était ministre dans un état nain ; il n’avait pas ses mouvemens libres. On disait du Jupiter olympien, que Phidias avait fait assis, qu’il ferait éclater la voûte du temple, s’il lui arrivait de se lever. C’était tout-à-fait la position de Goëthe à Weimar. Si, voulant sortir de son calme accroupi, il se fut dressé de toute sa hauteur, il eût crevé le faîte de l’état, ou, ce qui est plus vraisemblable, il s’y serait brisé la