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autre livre latin que celui de Spinosa ! » Du reste, cela ne s’applique pas seulement à Goëthe, mais à une foule de ses amis, connus plus ou moins comme poètes, qui s’attachèrent de bonne heure au panthéisme. Cette doctrine fleurit pratiquement dans l’art allemand, avant d’arriver chez nous à la puissance comme théorie philosophique. Au temps même de Fichte, quand l’idéalisme se glorifiait à l’apogée le plus élevé dans le domaine de la philosophie, il était violemment détruit dans le domaine de l’art, et c’est alors qu’éclata chez nous cette fameuse révolution artistique qui n’est pas encore terminée aujourd’hui, et qui commence au combat des romantiques contre l’ancien régime classique, aux émeutes des Schlegel.

Dans le fait, nos premiers romantiques agirent par un instinct panthéistique qu’eux-mêmes ne comprirent pas. Le sentiment qu’ils crurent une tendresse renaissante pour le bon temps du catholicisme avait une origine plus profonde qu’ils ne le soupçonnaient. Leur respect, leur prédilection pour les traditions du moyen-âge, pour les croyances populaires, pour la diablerie, la magie et la sorcellerie, tout cela ne fut qu’un amour réveillé subitement et à son insu pour le panthéisme des vieux Germains ; et dans ces figures indignement barbouillées et méchamment mutilées, ils n’aimèrent véritablement que la religion anté-chrétienne de leurs pères. Je dois rappeler ici ma première partie où j’ai montré comment le christianisme avait absorbé les élémens de la vieille religion germanique, comment, après une outrageante transformation, ces élémens s’étaient conservés dans les croyances populaires du moyen-âge, de sorte que le vieux culte de la nature fut considéré comme impure et méchante magie, les vieux dieux ne furent plus que de vilains diables, et les chastes prêtresses d’infâmes sorcières. De ce point de vue, les aberrations de nos romantiques peuvent être jugées plus favorablement qu’on ne le fait d’ordinaire. Ils voulurent restaurer le moyen-âge catholique, parce qu’ils sentaient qu’il y avait là beaucoup des souvenirs sacrés de leurs premiers ancêtres et de leur nationalité primitive, conservés sous d’autres formes. Ce furent ces reliques souillées et mutilées qui éveillèrent dans leur âme une si vive sympathie, et ils détestèrent le protestantisme et le libéralisme qui s’efforçaient de démolir ces restes sacrés du germanisme avec tout le passé catholique.