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sa Critique de la raison pure est en quelque sorte l’amphithéâtre anatomique de l’esprit humain ; pour lui, il demeure là froid et insensible comme un véritable chirurgien.

La forme des écrits de Fichte est semblable à sa méthode ; elle est vivante, mais elle a aussi tous les défauts de la vie : elle est inquiète et confuse. Pour demeurer toujours vivant et animé, Fichte dédaigne la terminologie ordinaire des philosophes, qui lui semble quelque chose de mort ; mais avec ce moyen nous parvenons bien moins à comprendre. Il a surtout au sujet de cette intelligence une marotte toute singulière. Quand Reinhold pensait comme lui, Fichte déclara que personne ne le comprenait mieux que Reinhold. Plus tard, celui-ci s’étant séparé de sa doctrine, Fichte dit : « Il ne m’a jamais compris. » Lorsqu’il s’éloigna de Kant, il imprima que Kant ne se comprenait pas lui-même. Je touche ici le côté comique de nos philosophes. Ils se plaignent sans cesse de ne pas être compris ; Hegel, au lit de mort, disait : « Un seul homme m’a compris ; » mais il ajouta aussitôt : « Et encore celui-là ne m’a-t-il pas compris non plus. »

Considérée dans le fond, dans sa valeur intrinsèque, la philosophie de Fichte n’a pas une grande importance. Elle n’a fourni à la société aucun résultat ; c’est seulement parce qu’elle est, avant tout, l’une des phases les plus remarquables de la philosophie allemande, parce qu’elle manifeste la stérilité de l’idéalisme dans ses dernières conséquences, parce qu’elle forme la transition nécessaire à la philosophie actuelle, que la doctrine de Fichte est de quelque intérêt. Ainsi cette doctrine étant plus importante sous les rapports historique et scientifique que sous le rapport social, je la résumerai en peu de mots.

La question que Fichte se propose est celle-ci : Quelles raisons avons-nous d’admettre que nos notions des choses répondent aux choses qui sont hors de nous ? Et il résout cette question de la manière suivante : Toutes les choses n’ont leur réalité que dans notre esprit.

La Critique de la raison pure avait été l’ouvrage capital de Kant ; la Doctrine de la science fut celui de Fichte. Le second ouvrage est comme une continuation du premier. La Doctrine de la science fait rentrer également l’esprit en lui-même. Mais là où Kant analyse,