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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

à une autre chose déterminée qui, désignée à son tour par un nombre, reçoit ce même caractère d’insensible et d’infini. En cela, le nombre ressemble aux idées qui ont entre elles le même caractère et le même rapport. On peut indiquer d’une manière très frappante, par des nombres, les idées telles qu’elles se produisent dans notre esprit et dans la nature, mais le nombre n’est toujours après tout que le signe représentatif de l’idée, et non l’idée elle-même. Le maître a bien encore la conscience de cette distinction, mais l’écolier l’oublie, et ne transmet à d’autres écoliers de seconde main que des hiéroglyphes numériques, des chiffres morts dont personne ne connaît plus le sens vivifiant. Cela s’applique aussi aux autres élémens de la forme mathématique. L’intellectuel, dans son éternelle mobilité, ne permet aucun arrêt, et il se laisse aussi peu fixer par des lignes, des triangles, des carrés et des cercles, que par des nombres. La pensée ne peut être calculée ni mesurée.

Comme ma tâche est surtout de faciliter en France l’étude de la philosophie allemande, je traite toujours plus volontiers de ces difficultés extérieures qui effraient facilement un étranger, quand on ne l’en a pas prévenu. Ceux qui voudraient mettre Kant à la portée du public français, je les avertis surtout qu’ils peuvent retrancher de sa philosophie la partie destinée seulement à combattre les absurdités de la philosophie de Wolf. Cette polémique, qui se fait jour partout, ne servirait qu’à embrouiller les Français et ne leur serait d’aucune utilité. — J’ai entendu dire que M. le docteur Schœn, savant Allemand établi à Paris, s’occupe d’une édition française de Kant. J’ai une opinion trop favorable de la perspicacité philosophique du docteur Schœn, pour juger nécessaire de lui adresser le même avertissement, et j’attends au contraire de lui un livre aussi utile qu’important.

La Critique de la raison pure est, comme je l’ai dit, l’ouvrage capital de Kant, et l’on peut en quelque sorte se passer de ses autres écrits, ou du moins ne les considérer que comme des commentaires : on jugera par ce qui suit de l’importance sociale de cette œuvre.

Les philosophes avant Kant ont réfléchi sur l’origine de nos connaissances, et suivi, comme on l’a vu, deux routes différentes,