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LA DERNIÈRE CRISE MINISTÉRIELLE.

dans la ruine des doctrinaires que le triomphe des idées libérales qui sont dans ses sympathies ; sans juger avec toute l’attention nécessaire le ministère Bassano, il avait cru reconnaître dans ce mouvement parlementaire une tendance au progrès. Mais quand il vit l’accueil fait au nouveau cabinet, il se défendit de toute alliance avec lui. Le lendemain de l’ordonnance royale, comme un député se rendait au château : Eh bien ! monsieur, lui dit son altesse royale, j’espère qu’on ne dira pas de ce ministère, le ministère d’Orléans, mais bien le ministère Dupin. Du reste, le roi n’a pas pu faire autrement après la scène qui s’est passée au conseil.

— Croyez-vous, monseigneur, aux paroles qu’on prête à M. Guizot ? répondit le député. Pour moi, j’en doute.

— Mais voilà M. Guizot qui entre, je vais l’aborder.

M. Guizot, interpellé par M. le duc d’Orléans, répondit avec beaucoup de convenance :

— Prince, les hommes qui me prêtent ces paroles n’ont pas vécu, je ne dis pas seulement dans une antichambre, mais sur le palier d’une maison honnête.

Alors M. le duc d’Orléans, tout ému, saisit la main du député en présence de M. de Rambuteau, et lui dit : Tenez pour non avenues mes paroles de tout à l’heure.

On avait tant de hâte d’arriver au pouvoir, on était si heureux d’avoir foulé les doctrinaires ! À onze heures, toutes les acceptations étaient données, le ministère composé ; il ne manquait que l’adhésion de M. Bresson et de M. Sauzet qu’on se hâtait de prévenir. La chose paraissait si pressée, la combinaison si impérieuse, qu’on se hâta de la promulguer le soir même du 10 novembre, par un Moniteur extraordinaire ; le roi se montrait de plus en plus impatient de travailler avec un nouveau ministère.

Les hommes qui entraient aux affaires n’avaient pas calculé la portée de la tâche qu’ils s’imposaient. MM. Passy et Teste surtout, hommes de tribune calmes et d’une discussion raisonnée, avaient-ils bien envisagé la rude guerre que la presse allait leur faire, les invectives dont ils seraient l’objet ? La gauche, le parti Odilon Barrot, les repoussaient, n’allaient-ils pas avoir dès lors contre eux le National et le Courrier Français ? La stupéfaction publique, à l’aspect d’un cabinet de noms nouveaux, ne servirait-elle pas ce mouvement d’opinion de la presse libérale ? Ce ministère était inconnu ; donc il serait méprisé, et ce mépris sous la plume de gens de cœur et de talent pourrait-il être supporté par des caractères faibles, qui ménageaient l’avenir, comme MM. Passy et