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DES ORIGINES DU THÉÂTRE EN EUROPE.

Je dois ici, messieurs, vous donner une explication nécessaire et prévenir une équivoque qui entraînerait des inconvéniens de plus d’un genre. Je me suis servi, et me servirai encore, des mots parfait et perfection appliqués à l’art et au drame ecclésiastiques des xie et xiie siècles : ces mots ne doivent pas se prendre dans un sens absolu et n’ont dans ma pensée qu’une acception relative. Tout système artistique ou littéraire a son point de perfection relatif, quelque imparfait qu’il soit en lui-même. Je ne prétends pas, messieurs, vous faire illusion sur la valeur æsthétique des monumens que nous allons étudier : tous, ou presque tous, sont barbares. Il doit donc être bien entendu que je ne propose aucun de ces monumens à votre admiration ; à plus forte raison, que je ne vous en recommande aucun comme pouvant vous servir de modèle. Vous le savez ; à l’époque où le génie dramatique chrétien atteignit son plus complet développement hiératique, du ixe au xiie siècle, la langue, dans toutes les contrées de l’Europe, était entièrement corrompue. Le latin n’était plus qu’un patois, où l’on ne reconnaissait ni construction ni syntaxe : les langues nouvelles n’en étaient qu’au bégaiement, et n’atteignirent que vers le xiiie siècle, aux grâces de l’enfance. Ainsi n’attendons rien, ou presque rien, sous le rapport de la diction, des monumens que nous allons exhumer. Je m’explique, à cet égard, dans les termes les plus formels et les plus clairs que je puisse employer, pour ne laisser place à aucune méprise. Je le répète, presque toutes les œuvres littéraires du moyen-âge sont barbares par la langue, et ne peuvent, en aucune façon, vous être proposées pour modèles.

Mais alors, me direz-vous, pourquoi les tirer laborieusement des livres et des manuscrits où elles sommeillent ? Pourquoi entreprendre des fouilles ingrates, d’où l’on est sûr à l’avance de ne voir sortir aucun chef-d’œuvre ? Pourquoi, messieurs ?… je vais vous le dire : La critique, quelques landes arides qu’elle défriche, n’est jamais stérile. Sous l’œuvre la plus grossière, il y a toujours l’homme et la société ; or, l’homme et la société, même lorsqu’ils se trouvent momentanément bouleversés par ces mélanges de races, d’idées et de langages qui labourent pour le féconder le sol intellectuel, n’en offrent pas moins une étude d’un intérêt irrésistible. Il est trop vrai qu’il vient toujours un moment fatal où les littéra-