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Sur quoi, l’ambassadeur d’Autriche répondit à haute voix : « Nous sommes heureux et fiers de l’avoir parmi nous. » Selon nous, et selon M. de Châteaubriand aussi, nous en sommes bien sûrs, ces belles paroles d’apparat ne valaient ni le mot involontaire de M. de Montesquieu, ni le séditieux hommage des dames de Douvres.

Parfois M. de Châteaubriand s’arrêtait à des observations plus subtiles et curieuses que justement fondées. C’est ainsi qu’il se montrait surpris de ne reconnaître nul vestige des armées anglaises qui avaient combattu contre la France depuis la révolution, de n’apercevoir par exemple aucune moustache grisonnante. Il n’avait pas alors peut-être assez présente à la mémoire la prudente méfiance de ces institutions de la Grande-Bretagne, qui tendent toutes à réprimer l’influence militaire et à garantir la liberté de l’usurpation du sabre.

Mais souvent aussi, considérant de plus haut l’état social et politique de l’Angleterre, il jetait soudainement, et sans transition, de ces traits vifs et saisissans. « Ici, disait-il, tout se forme de cercles concentriques qui, chacun, ont un chef : — l’opposition elle-même est aristocratique ; — la monarchie a cessé d’exister ; ce n’est plus qu’une oligarchie. Cependant ce gouvernement, tel qu’il est, ne périra que sous les coups de son aristocratie : il n’a rien à craindre de sa démocratie. Comme à Rome, les sénateurs pourront vendre leur pays. — La nullité de la monarchie et la puissance de l’aristocratie font qu’il n’y a point de cour, c’est-à-dire qu’aucun noble ne consent à ramper sous un maître. De là, point de courtisans, point d’intrigues. Au lieu de passer leur vie à flatter un souverain, les nobles s’occupent d’entretenir leur puissance dans le pays ; tout le monde est à sa place. Cette aristocratie est naturelle ; elle est éclairée, pleine de talent. On arracherait à ses membres leur or, leurs propriétés, qu’ils n’en resteraient pas moins au sommet de la société par leur mérite personnel. De là, le contraste qu’on remarque ailleurs ne se présente point en Angleterre. En général, on ne s’y demande pas pourquoi tel ou tel homme est placé dans une position fort au-dessus de celle qu’il mérite ; les hommes y sont au niveau de leur situation. »

Toutes ces rapides propositions brusquement entassées sont