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constante prédominance des sentimens éternels, c’est le perpétuel triomphe de ce qui sera toujours sur ce qui était dans un temps et dans un lieu donnés. Ce n’est pas par le savoir qu’il a conquis son rang : son ignorance faisait pitié à Ben Jonson. Il avait mieux que le savoir, il avait l’omniscience. Il ne connaissait pas la Grèce comme Heeren, ni l’Italie comme Sismondi ; mais il comprenait les biographies de Plutarque et les nouvelles de Giraldi à sa manière, il les pénétrait par un sens refusé aux autres hommes. Il a été grand poète, parce qu’il était grand philosophe.

Ni Sophocle, ni Shakspeare. Quel sera donc le théâtre nouveau ? L’histoire sera-t-elle muette sur les destinés prochaines de notre scène ? Non sans doute. Mais je ne veux pas esquisser en quelques lignes un tableau réservé à de plus habiles. Nous laissons à M. Charles Magnin le soin de nous révéler les origines du théâtre en Europe. Je laisse à son érudition patiente le soin de porter la lumière dans ces ténèbres poudreuses. Pour moi, je me contenterai de ramener à trois formules précises et compréhensives l’histoire de la scène française depuis 1610 jusqu’à 1834.

Ces formules, les voici :

De 1610 à 1715, la poésie dramatique se réduit à l’analyse. Corneille, Racine et Molière, malgré leurs affinités avec l’Espagne, la vieille Grèce et la vieille Italie, consacrent toute leur volonté au développement désintéressé de l’ame humaine. L’emphase lucanienne de Corneille, la pudeur élégiaque de Racine, la déclamation sentencieuse de Molière, ne troublent pas la vérité générale de cette première formule.

De 1715 à 1784, depuis la mort de Louis xiv jusqu’au mariage de Figaro, le théâtre tout entier n’est qu’un immense pamphlet. Crébillon. — Marivaux, sont en dehors du mouvement. — Le pouvoir appartient à Voltaire et à Beaumarchais ; et qui niera l’intime parenté de Mahomet et de Figaro ? — Au dix-huitième siècle, l’étude savante des formes antiques n’était plus possible ; la poésie dramatique ne pouvait pas ne pas être militante ; sous Louis xiii et Louis xiv, elle était un ornement de la monarchie. Sous la régence et sous Louis xv, elle devint une arme contre la royauté.

Les tentatives ébauchées depuis cinquante ans n’ont pas encore