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l’attention : ceux qui voient beaucoup ne regardent pas. La curiosité, telle que le monde l’entend, n’est qu’une perpétuelle distraction, c’est-à-dire une perpétuelle oisiveté. Pour les sens, c’est le libertinage ; pour l’esprit, c’est l’ignorance ; pour le cœur, c’est l’égoïsme.

Une fois, au contraire, que la curiosité s’apaise et s’enferme dans d’étroites limites, l’attention, plus puissante et plus libre, atteint aux cimes les plus hautes de la clairvoyance ; et, dans les trois ordres que j’ai dit, elle arrive au plaisir, au savoir, au dévouement.

Face à face avec un public attentif, le poète ne manquera pas de mesurer ses forces avant d’engager la lutte : sûr que pas un de ses mouvemens ne sera perdu, il ne laissera pas au hasard le choix de ses attitudes ; il composera son geste et sa voix.

Résolu à ne produire qu’un nombre déterminé d’impressions, il les voudra profondes et inévitables ; et pour atteindre le but qu’il aura marqué, pour frapper d’un coup décisif la place préférée, pour tailler une blessure large et saignante, il réfléchira long-temps avant de lever l’épée.

Alors la prophétie prononcée sur le théâtre ne sera plus vraie ; l’ode et le roman auront sur la scène un rival digne de leur jalousie. Comme l’ode et le roman, le drame aura des beautés successives, pénétrables aux uns, impénétrables aux autres ; on reviendra voir trente fois la même héroïne, avec la certitude d’éprouver une émotion nouvelle.

Le jour où se lèvera cet astre glorieux, les antiquaires n’auront pas grand’chose à dire ; ils feront silence avec la foule, ils redeviendront hommes pour écouter et s’attendrir.

Mais pour ce drame qui viendra, où seront les acteurs ?

§. ii.

Je ne crois pas, comme on le répète partout, que la rue de Chartres et le boulevard Bonne-Nouvelle soient en mesure de régénérer la Comédie-Française. Il se peut que Perlet ait joué Molière à Londres d’une façon très remarquable ; les réflexions ingé-