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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

naître sa situation à ses compagnons, mais la nouvelle de leur départ le jetait dans le désespoir. La force lui manquait pour quitter le lieu où il se trouvait, et lors même qu’il l’aurait eue, il eût craint d’être assassiné par le premier paysan qui l’aurait rencontré.

Dans cette extrémité, il songea qu’il n’avait plus d’espoir que dans la jeune paysanne que le hasard lui avait fait rencontrer. Il était lui-même du pays. Son père et ses frères, pêcheurs à Locmariaquer, pouvaient le sauver en venant le chercher ; il conjura la jeune fille de les aller trouver. Il employa les supplications les plus pressantes, les menaces mêmes ; mais celle-ci resta insensible à tout. Ses regards ardens roulaient autour d’elle, puis se fixaient sur le marin, qui se tordait à ses pieds. Elle s’approcha enfin vivement de lui, et d’une voix brève et hardie :

— Si tu veux que j’aille à Locmariaquer, dit-elle, donne-moi ta montre !

Et, en parlant ainsi, elle voulut saisir le cordon qui retenait celle-ci ; mais le blessé se jeta en arrière, et fit un effort pour la repousser.

— Après, après, dit-il, quand tu reviendras… Je te donnerai ma montre et de l’argent avec…

— En as-tu, seulement ? demanda la paysanne.

— J’en ai.

— Où est-il ?

— Là.

— Montre-le moi ?

— Me promets-tu de me sauver après ?

— Oui.

— Eh bien ! tiens, regarde.

Le confiant marin se pencha sur son havresac, qu’il avait détaché et qui était auprès de lui ; ses deux mains commencèrent à en déboucler avec peine les courroies.

— Tiens, bleu ! cria la Bretonne.

Et elle lui déchargea sur la tête un coup de faucille qui lui ouvrit le crâne ! il ne poussa pas un soupir ; ses deux bras se raidirent, et il tomba la face sur le havresac.

Alors la jeune fille prit sa montre, son argent, ses vêtemens ; elle lava tranquillement dans la mare ses pieds qui étaient pleins